Jordanie Partie 3 – Aqaba

Après ma visite à Petra, je me lève tôt et je vais à la station de bus locaux, où deux vieux minibus sont stationnés, un qui va à Amman et un qui va à Aqaba. Je prends place dans le second. Je remarque avec déplaisir qu’il y a juste quelques personnes dedans, ce qui veut dire qu’on sera ici une éternité. C’est quelque chose que le monde sait pas à propos de voyager dans des pays du tiers-monde: tu passes beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps assis dans des véhicules immobiles. Moi chus en vacances et pas sur un horaire si serré, mais je regarde les Jordaniens autour de moi, me disant que c’est un gaspille de capital humain, qu’ils pourraient être en train de faire de quoi de productif au lieu d’être à la merci du chauffeur qui se tourne les pouces dehors, ou qu’ils voudraient être avec leur famille ou faire de quoi de plaisant. Le diagramme de Venn entre “aUtObUs qUi pArT pAs sUr uN hOrAiRe, jUsTe qUaNd iL eSt pLeiN” et “pays dont une grosse partie du GDP est l’argent donné par des pays où les choses fonctionnent” a un crisse de gros overlap.

Le chauffeur vient collecter mon argent. 7 dinars. Hmmm, pas mal sûr que j’ai vu les Arabes payer avec des billets de 5 et recevoir du change. Il y a un backpacker chinois deux sièges en avant de moi qui s’astine, mais il parle à peine anglais, et c’est pas comme si le chauffeur lui-même avait pas juste appris, phonétiquement, à dire “sè-wan dinar” quand un des passagers arbore un visage blanc ou jaune. Comme si leur cul était deux fois plus large, ou je sais pas quoi. Je sais qu’argumenter mènera nulle part, alors je lui donne son 7 dinars avec un sourire exagéré. Allah aime pas la malhonnêteté, trop de niaiseries comme ça et il ira en enfer.

Donc, en tout et pour tout, ça prend 4 heures pour couvrir 100 km, malgré le fait que la route est excellente et peu accidentée. J’ai vu pire.

Mon auberge est à 30 secondes de marche d’où le bus arrête, et quand je cogne à la porte, je suis surpris que c’est une Japonaise qui ouvre. Elle me fait visiter et m’emmène à ma chambre, et elle est d’une douceur et d’une politesse quasi-caricaturale, le genre qui te fait te demander comment son peuple est affublé de ces qualités mais également capable des pires cruautés et perversions. Et quand elle apprend que je me dirige vers Israël le lendemain, elle me donne une petite pile de shekels et une carte de bus, qu’elle a gardés de sa visite là-bas.

Peut-être que je chiâle un peu contre la Jordanie à date (c’est quoi, chus supposé me laisser me faire crosser constamment avec un gros sourire?) mais un point que je vais donner au pays est que ses auberges sont excellentes, toutes les trois dans lesquelles j’ai créchées, j’ai à peu près rien à dire autre que du positif dessus. Salles communes, staff attentif, lits confortables, bas prix. Et celle d’Aqaba est ma préférée de la gang, surtout à cause du déjeuner inclus qui consiste en du pain pita frais, du hummus, des boules de falafel et des tomates.

Je vais me promener un peu, arrivant au bord de la mer. On voit quatre pays en même temps, je pense que c’est pas mal une des seules places au monde tu peux faire ça: au sud à à peine dix minutes de char il y a des montagnes qui sont en Arabie Saoudite, à l’ouest c’est l’Égypte, et entre les deux, un deux kilomètres de côte qui appartient à Israël, avec la grosse ville de Eliat. Et je me rappelle soudainement une conversation que j’ai eu la veille: dans le Proche-Orient, y a eu pas mal de bisbille et de brassage de cage et d’instabilité, pour utiliser l’euphémisme du siècle. Le Liban, la Syrie, l’Iraq sont constamment en proie aux guerres, l’Égypte, la Turquie et l’Arabie Saoudite ont des périodes tendues à cause de leurs franges radicales, et Israël… bin, c’est Israël. Mais la Jordanie, même si ils sont au beau milieu de ce merdier, s’en tirent toujours sans trop de problèmes majeurs. C’est-tu à cause qu’ils ont la même famille royale depuis Lawrence d’Arabie et la dissolution de l’Empire Ottoman? À cause qu’ils ont trouvé le juste milieu (pour leur culture) entre libéralisme et islamisme? À cause qu’ils savent faire des compromis quand c’est le temps?

Sinon, de quoi que je remarque est un drôle de paradoxe: dans les autres coins de la Jordanie où je suis allé, les femmes portent des foulards colorés qui laissent leur visage exposé et des vêtements modestes mais stylés, mais là je vois pour la première fois quelques ninjas qui déambulent dans le souq, et à quelques reprises je croise aussi des jeunes filles qui se promènent avec des tenues assez haram, genre des gilets bédaine ou des bretelles spaghetti et même une craque de tits ou deux. Weird.

Je suis pas de la meilleure humeur, alors que je glande de rue en rue. La Jordanie m’a un peu déçue, c’est évident, même si c’est indéniablement un pays magnifique et que l’existence d’une track touristique rend les choses faciles. Quasi toutes les discussions de salle commune d’hostel, que j’y participe ou que je fasse juste écouter, portent sur le sujet des crosses et fatiguanteries, avec anecdotes et conseils, un peu comme en Amérique Latine tout le monde parle de danger et de crime, au point que ça en vienne répétitif. J’ai souvent mentionné dans mes vidéos sur l’Iraq comment ils méritent plus de touristes, et là en Jordanie je me dis que c’est l’inverse. Ouin, le Jordanien moyen est bin gentil pis toute, mais l’omniprésence et l’inévitabilité des crosses, surtout quand c’est cautionné par les autorités et aussi institutionalisé dans leur culture, me fait rouler des yeux. Sans compter que quand on y pense deux secondes, pas que ce soit si pertinent, mais l’attrait de la Jordanie a quasi rien à voir avec le peuple qui y habite et ses propres contributions à la culture mondiale, ils sont juste chanceux de l’hériter et d’en profiter: Petra et les ruines romaines sont des siècles plus anciens que l’arrivée des Arabes musulmans, et on peut dire la même chose de leur nature variée et superbe.

(Et si tu penses rétorquer en disant que c’est un pays plus pauvre, et que donc ils ont le droit inhérent d’arnaquer les touristes, décrisse de mon blogue. Je suis sérieux. Je veux pus te voir la face.)

De quoi qui a été bâti par les Musulmans, cependant, est le château, qui est quand même cool. Je m’y promène de pièce en pièce, ça me fait sérieusement penser au jeu vidéo Mount & Blade: Warband, et je m’imagine décrisser des mercenaires sarranides à coup d’épée ou de hache.

Puis je vais me changer, et après quelques essais-erreurs, je trouve un taxi prêt à m’emmener aux plages du sud à un prix raisonnable. Le problème est que, oups, j’ai juste emmené un billet de 20 dinars, dans un sac Ziploc, pour être capable de nager sans laisser mon portefeuille sur la plage. Et le chauffeur a pas de change pour. Il arrête à un gros resort, et là non plus, personne peut changer mon billet de 20, puis on essaie avec les rares badauds sur la plage, les instructeurs de plongée, et après plusieurs minutes de couraillage je trouve quelqu’un. Le chauffeur a l’air de vouloir un bonus, je lui en donne un pour son trouble, même si une partie de moi pense que c’est plutôt lui qui devrait me donner un rabais. Le monde qui opère des cash businesses et qui ont jamais de change sont sérieusement tout-croches.

L’eau est un peu froide initialement, mais je me sens merveilleusement bien après m’y être immergé. Le snorkeling est… OK, j’imagine. Il y a une épave à une centaine de mètres au large, mais elle est trop creuse et l’eau est trop brouillée pour voir autre chose que juste la forme générale du bateau, sinon il y a quelques coraux et poissons mais rien de bin impressionnant. Peut-être que si j’avais payé (le prix de crosse, bien sûr) pour aller au large avec un tour organisé j’aurais vu des choses plus cool, mais je suis quand même satisfait.

Il y a juste une route pour se rendre à Aqaba, et j’ai même pas à véritablement faire du pouce, le premier monsieur s’arrête alors que j’ai à peine fini de traverser et m’emmène généreusement en ville. Je le remercie et je m’achète une bière au bottle shop, que je bois dans la douche en me rinçant de l’eau salée.

Je glande un peu plus, puis je vais prendre une autre longue marche et manger un souper de poulet rôti et riz. Le lendemain, j’essaie d’entrer en Israël, et j’échoue. Oy vey. Je reste donc en Jordanie trois jours de plus, avant de m’envoler vers la France.

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