[Note: 10 cedis = environ 1 dollar canadien. Si je mentionne des prix, divisez-les par 10 pour avoir une idée]
Mon alarme sonne à 6h du matin, j’ouvre la porte de ma chambre et je vois que celle de mon comparse Paul est ouverte aussi, alors je vais lui dire allo et confirmer que je suis debout et prêt pour notre départ matinal. Après que j’aie cogné et reçu un “Ouais”, je suis frappé par une masse d’air encore plus chaude que dehors et une piquante odeur de swing quand je glisse ma tête par la porte entrouverte. Moi j’avais choisi la chambre avec air climatisé pour 100 cedis et l’avais immédiatement crinqué à 16 degrés, lui avait décidé d’y aller pour la basic qui coûte la moitié, avec ventilateur et toilette à l’extérieur. Il est en Afrique pour cinq mois en tout comparé à ma visite éclair de trois semaines, et a une tolérance pour dormir aux Tropiques que je ne possède point. Je suis notoirement capable d’endurer pas mal d’inconfort, mais je veux quand même être capable de dormir la nuit. Pas comme si ma chambre était du gros luxe non plus, avec le lit dur, les murs craqués et une fainte odeur de moisi, au moins j’ai pu dormir au froid comme je l’aime.
La veille, j’avais acheté une pile de mangues pour nous deux, et lui de son côté avait fait la même chose, ce qui fait que là on a crissement trop de mangues. Je me tape donc un petit déj’ composé d’un joint et des trois mangues, et en paquetant mon sac et nettoyant la chambre, je constate que j’avais oublié de finir ma Guinness la veille et je cale le fond chaudasse et flatte. La Guinness en bouteille, même bien fraîche, a à peu près rien à voir avec the real black stuff que j’ai bu en grosse quantité en Irlande le mois précédent, mais c’est quand même le bienvenu pour faire changement des lagers ordinaires ghanéennes (qui elles-mêmes sont toujours le bienvenu, dans ce pays où il fait 40 Celsius chaque esti de jour).
Nous sommes à Kintampo, bled du centre du Ghana. Peu de véritables raisons pour que des touristes se rendent là, à part une chute d’eau assez skippable. On le traite donc plus comme une escale que d’autre chose, vu que ça aurait été trop long de faire le trajet de Boabeng au Parc National de Mole d’un coup. C’est quand même agréable, avec des gens bin gentils comme partout où on a été dans ce pays, et la veille après la chute d’eau et un souper de riz-sauce, de mouton grillé de de mangues on en a profité pour se reposer un peu.
On se rend à la station de bus. Le minibus pour Damongo est là, avec juste deux personnes dedans. Oh boy, on va attendre longtemps. Peut-être on aurait pas été obligés de se lever si tôt, mais y a aucun moyen de le savoir vraiment. Les vÉHiCuLeS qUi pArTeNt jUsTe uNe fOis pLeiNs c’est une des tiersmonderies qui me déplaît le plus, mais que faire d’autre que hausser les épaules? Je m’assis dehors sur un banc de bois à l’ombre, avec mon Kindle et mon lecteur mp3, et je regarde le temps passer pendant que le minibus se remplit pas.

Je remarque pas mal de musulmans autour, plus on va au nord du pays plus ils sont nombreux. Ça fait du sens, le christianisme est arrivé par la côte, avec les Uropéens, alors que l’islam s’est répandu par l’intérieur de l’Afrique, du Sahara en descendant. Je me suis fait dire que c’est une cohabitation harmonieuse, et je suis prêt à le croire, mais c’est aussi une source potentielle de conflits quand des régions à majorité musulmane demandent plus de pouvoir politique, comme en Côte d’Ivoire, et qui sait quelle influence que les coucous wackbars fondamentalistes qui ont scrappé le Mali et le Burkina-Faso peuvent avoir sur les musulmans placides ghanéens. Je reçois pas mal de salamalékoums, sûrement à cause de ma grosse barbe pas faite, et je renvois la pareille aux bonhommes en longue robe et/ou à petits chapeaux. Les femmes, quant à elles, portent les robes de couleur éclatante qui contribuent à faire du continent noir une place si photogénique, et l’upgradent avec un foulard tout aussi coloré autour de leur tête. J’en vois une, couverte de la tête aux pieds comme ça, mais avec un toton sorti pour allaiter, ce que je trouve bien ironique.
Trois heures plus tard, un seul passager de plus. À ce rhythme, on en a pour… 36 ou 39 heures. Je consulte Paul pour un possible plan B, que ce soit d’essayer de faire du pouce ou de prendre un des minibus pour Tamale et changer à mi-chemin quand la route fourche. Le França a pas l’air de désespérer, il en a vu d’autres en Guinée, et on a déjà payé.
Alors on continue d’attendre. J’achète un snack des madames qui transportent des chaudières sur leurs têtes, un genre de beigne et des oeufs à la coque, qu’elle coupe sur la longueur comme tu ferais avec un pain à sous-marin, avant d’y glisser une cuillérée de sauce piquante et une tranche d’oignon dans la craque. Quand je viens pour payer, elle parle pas anglais, une première pour moi dans ce pays. Plus on va vers le nord plus ça devient wild et imprévisible (pas que le sud du Ghana soit Gatineau non plus) et c’est excitant.
Éventuellement, on se met en route, et on arrive à Damongo sans histoires. Huit heures pour couvrir 140 kilomètres. Eh. On est encore à une vingtaine de kilomètres du parc, alors on prend un tuk-tuk qui nous emmène à vitesse de tortue. À la guérite, un bonhomme nous fait payer, et mentionne que c’est moitié prix pour les étudiants. Je sors ma carte d’université, qu’il regarde suspicieusement avant de me dire qu’elle est invalide. Ah bin, un gars s’essaie. Il nous charge donc 120 cedis total, mais imprime un reçu qui dit 60+30. Il déblatère des excuses comme quoi il avait déjà entré le prix étudiant mais doit me charger le prix adulte, et quand je lui dis que chus bel et bien un étudiant et que c’est ma face sur la carte, je m’attends à ce qu’il dise qu’elle est expirée depuis 2010, mais non, il dit que la carte est “trop usée”. Faque je la glisse dans mon portefeuille d’où elle sort juste ici et là à un musée ou un site touristique quelconque, et je peux pas le blâmer pour son petit subterfuge qui lui fait empocher 30 cedis.
On se prend une chambre sur les lieux, ce qui coûte un gros 650 cedis mais nous évite le chiard et le stress de crécher dans le village voisin et dépendre des motos-taxis pour pas si moins cher, et elle est spacieuse et impeccable. Pas d’AC, mais un bon ventilateur bien puissant. Des babouins se promènent autour, nous regardant d’un air de “Veux-tu t’battre?”, et on s’est fait dire de barrer la porte en tout temps, les p’tits estis sont capables les ouvrir. Puis on va s’inscrire à un safari de nuit, avant d’aller boire une bière de victoire et de profiter de la piscine. L’eau est chaude comme de la soupe mais décrasse pareil, et j’y macère un bout avant de manger un souper de riz frit.

Après avoir pris place dans le camion de safari, on se fait prêter des grosses flashlights. En roulant sur les routes de terre du parc, je balaie la forêt avec mon faisceau, et quand quelqu’un voit de quoi on arrête. On voit des troupeaux d’antilopes un peu confus, des phacochères (cochons sauvages avec une crête de cheval, comme Pumba dans le Roi Lion), des oiseaux, et même un crocrodile qui rampe vers un plan d’eau, ses yeux scintillant comme des cigarettes. Quand même pas pire. Je me demandais ce serait quoi la logistique d’un safari de nuit, mais on a vu pas mal d’animaux et même si on passait des longs bouts à juste rouler sans rien qui se passe, c’était somme toute plaisant.

Le lendemain, on commence notre safari à pied à 7 heures, avec un groupe d’Allemands. Tu te fais toujours demander si t’es allemand au Ghana, vu qu’un bon nombre des blanchâtres au pays le sont, et pas comme touristes, surtout comme bénévoles à moyen-terme, à cause de programmes de travail social (un héritage de leur service militaire obligatoire), d’un esprit de charité véritable, et d’ethnoculpabilité bien européenne. Moi en tout cas ils me font pas chier, contrairement à Paul qui grince des dents dès qu’il en voit, j’imagine d’il est encore mad à cause de 1870 et les deux guerres mondiales.
Le guide nous emmène dans un terrain à mi-chemin entre la savane et la forêt, ce que les Australoïdes appellent le bush. Encore une fois, les antilopes et Pumba sont au rendez-vous, mais la star du show est l’imposant éléphant. On en voit une gang se baigner, avec juste leurs dos qui émergent comme des îlots grisâtres, et des fois une trompe qui floppe dans les airs tel un pénis à moitié bandé. Et un peu plus loin dans notre marche, on en voit deux qui sortent du mois et marchent lentement dans la plaine. Ils sont gros en tabarnak, au moins deux fois plus que les minables éléphants à petites oreilles qu’on voit en Asie. Je suis obnubilé par leur présence.

Après ça on a encore le temps de prendre une petite douche, manger le déjeuner inclus avec la chambre, et relaxer, avant de se mettre en route avec un chauffeur employé par le parc. Il passe par la mosquée de Larabanga, une des attractions touristiques premium du pays, comme je vois en loop sur la grosse TV alors que je tape cette histoire quelques jours plus tard, à l’aréoport. En personne elle est plutôt minable, beaucoup plus petite que les drone shots du ministère du tourisme la font paraître, et bien qu’elle date de quasiment 1000 ans, elle est toute reconstruite et peinturée impeccablement blanche avec du ciment clairement moderne. J’ai ce genre de conflit dans ma tête des fois, quand on parle de buildings patrimoniaux: d’un côté, la laisser tomber en ruines est pas nécessairement désirable, mais est-ce qu’on peut au moins essayer de garder son aspect original quand on la maintient?

Mais hey, c’est une vraie mosquée active, comme on voit avec la gang de bonhommes en longue robe qui se gardent une gêne pour ce qui est de garrocher leurs déchets partout dans son enceinte. Et je suis pas mal excité à regarder son architecture unique, ses tours grossières avec les bâtons qui sortent comme un porc-épic, comme les photos que j’ai vu de Tombouctou. Faque on paye le 20 cedis, et alors qu’on est sur le point d’entrer, invité par un monsieur en robe longue, un cunt arrive de nulle part et dit qu’on peut pas entrer si on est pas musulmans. Il dit qu’on peut juste prendre des photos de dehors, et quand je rétorque en disant que l’autre nous avait invité et que j’ai visité des dizaines de mosquées de par le monde, il dit que c’est pas la même chose et blablablabla. Faque un beau 20 cedis de calissé aux vidanges, pour la “maintenance” supposément, et si c’est la maintenance du bâtiment historique et cultuel ou alors la maintenance de la BMW du gouverneur local, fuck knows.
Leave a comment