air canada (minuscules intentionnelles) étant la bande de bouffons qu’ils sont, mon vol Québec-Toronto a été retardé au point que je me demandais si je ferais ma connection pour Bogotá, mais lui-même a été retardé d’environ le même intervalle de temps et donc j’ai pas eu d’intempéries majeures. Tout comme une horloge brisée qui est à l’heure correcte deux fois par jour, des fois une ligne aérienne de marde arrive à accomplir du double négatif de marde et canceller sa propre incompétence de marde. J’arrive donc à la capitale colombienne avec une heure et demie de retard, et mon épouse m’y attend, ayant arrivé du Pérou, où elle était depuis une semaine.
On prend un taxi jusqu’à notre hôtel, et c’est pas une ville qui donne la meilleure première impression. Les bleds latinos en donnent rarement une, surtout quand ils sont surpeuplés et gonflés à une grosseur à peine fonctionnelle comme celui-ci. Je suis quand même content de voir ma chérie après un mois de séparation géographique, et de revenir en Amérique Latine, un endroit que j’ai dans mon coeur.
La Colombie même est pas une “nouvelle destination” en ce qui me concerne, vu que j’ai passé deux jours en 2016 dans un de ses racoins profonds dans la jungle, mais je suis jamais venu dans ses grosses villes. Je dis au chauffeur que c’est ma troisième visite à Bogotá et je fais semblant de reconnaître des landmarks, cependant, question d’avoir moins l’air d’une cible potentielle au cas où il décide de m’arnaquer ou pire. Je dois avouer que je stresse un peu depuis que ce voyage est à notre horizon, divers rapports en ligne parlent d’attaques de touristes, de vols à main armée et même de kidnappings, et surtout, ils disent à quel point les taxis eux-mêmes sont peu sécuritaires et les histoires de chauffeurs qui vont rencontrer deux ou trois de leurs chums à la barbe pas faite qui font RAH-RAH-RAH et qui t’emmènent ensuite à un guichet automatique isolé sont pas rares. Je jette un oeil sur le téléphone de notre chauffeur et son GPS, semble-t-il on ne dévie pas de notre trajet prévu.

On arrive finalement à notre destination, supposément un des meilleurs quartiers de la ville, mais la rue est remplie de personnages louches, le trafic est congestionné de vieux chars qui tiennent avec du duct tape et émettent de la boucane noire, et le trottoir est décalissé au point de juste être des plaques de béton craquées, lousses et érodées. La plupart des buildings sont dans un état pitoyable, à part un en briques rouges tout neuf, qui abrite notre auberge ainsi qu’une microbrasserie.
On est encore tôt le matin, mais notre chambre est prête, alors on y dépose notre shit et on ressort. À cause de la mauvaise réputation des taxis, tout le monde recommande d’utiliser Uber ou une autre appli du genre, et après quelques essais infructueux sur Uber même (qui requiert un numéro de téléphone local pour confirmer) et quelques autres (qui ont besoin d’une connection vers un compte bancaire), on utilise la version internationale de Didi, le Uber chinois. Un vieux char rouge vient nous ramasser et nous apporte jusqu’au centre historique.

La Plaza Bolivar nous charme bien, et est pas mal plus tranquille que ce qu’on serait en droit de s’attendre. J’admire l’architecture espagnole antique de la cathédrale et des bâtiments du gouvernement, et je me dis que c’est quand même spécial qu’un pays aussi middle-of-the-pack (en terme européens contemporains) que l’Espagne ait pu conquérir un continent quasiment au complet et y transposer sa culture et sa langue. Je regarde les gens qui déambulent, il y a beaucoup de phénotypes espagnols mais aussi pas mal avec des faces d’indigènes, et tous les mélanges métissés entre les deux. Il y a aussi juste assez de Noirs pour pas être une totale anomalie, mais ils sont en assez petits nombres pour être considérés une petite minorité. J’imagine il y en a plus sur le bord des Caraïbes.
On considère joindre un des walking tours et leurs guides qui attendent avec des manteaux ou des parapluies qui publicisent leurs services, mais au lieu on va se balader par nous-mêmes dans les petites rues pittoresques. On sort du petit bloc et ses cossins touristiques (kiosques d’artisanat, bonhommes qui chargent quelques cennes pour une photo avec un lama, etc.) et on marche à l’aveugle, quand on arrive à une intersection on regarde dans les trois directions et on emprunte celle qui semble la plus jolie. Vu que tout est bâti sur une grille malgré la géographie un peu accidentée, on sait toujours dans quelle direction il faudrait revenir pour aller à la Plaza Bolivar.

Un restaurant un peu fancy mais avec des prix très raisonnables attire notre regard, mais on est là trop tard pour leur menu de desayuno et pas assez pour leur menu de almuerzo alors on passe devant un autre, qui est beaucoup plus simple et sert encore des déjeuners. Les discussions de voyageurs hardcore portent souvent sur quels pays ont de la bonne bouffe et quels pays en ont de la mauvaise, et la Colombie est bien plus souvent mentionnée dans la deuxième colonne, je suis donc un peu appréhensif, et peut-être que c’est à cause que mes attentes sont basses, mais je trouve que leur déjeuner du jour est pas pire pantoute. On reçoit une portion d’oeufs brouillés avec des oignons et poivrons, une tranche de pain, et une soupe avec un gros chunk de viande et quelques patates. Pour rincer ça, on a une tasse de café et un jus d’un fruit tropical rouge bizarre. Une bonne soupe pour déjeuner est pas de quoi d’habituel pour nous mais est le bienvenu dans une place comme Bogotá, où il fait surprenemment frisquet, même en juillet.

On se rend au musée d’art, qui est fermé en ce mardi. Ma copine s’exaspère “Hier à Lima je voulais aller au musée et il ferme chaque lundi! C’est raciste!” mais on en rit et on dit qu’on reviendra un autre jour. Puis elle regarde sur Google Maps la distance pour retourner à notre chambre, un gros 7.4 km. Elle propose qu’on marche, et c’est ça qu’on fait, absorbant la vibe de cette métropole chaotique et tiers-mondesque mais bizarrement aussi énergique et développée. Il y a une ligne de bus rapides et beaucoup de pistes cyclables qui démontrent une planification urbaine avancée, mais les chars sont innombrables et pognés dans un trafic dense, et même si il y a clairement beaucoup de pauvreté et que tu peux difficilement te défaire de l’impression que tu es sur le point de te faire stabber, il y a aussi une certaine classe moyenne qui justifie la pléthore de magasins de toutes sortes vendant des choses non-nécessaires. Une ville pleine de contradictions, donc, comme le monde en développement l’est en général.

On fait une sieste à l’hôtel pour rattraper un peu le sommeil perdu durant nos nuits blanches respectives, puis on va souper. Il y a un resto argentin qui attire notre attention mais est un peu cher, alors on se rabat sur de quoi de plus local et bonne franquette. Je prends le steak, elle prend les côtes levées, c’est un peu trop cuit à mon goût mais quand le boss nous demande c’est comment on fait des thumbs up. Je remarque que les Colombiens ont un parler assez formel, ils sont très polis, et j’espère que mon espagnol simple et dénué de flafla les froisse pas.
Il y a un petit bar sur le chemin du retour qui titille ma curiosité, étant bien fan de tavernes de Latinos comme ça. On commande une bière blonde, une noire, un verre de rhum local et un d’aguardiente, et on boit ça bien peinards en regardant les vidéoclips de musique country mexicaine qu’ils font jouer de YouTube. Je sais que mon chum et fellow Mr. Worldwide Phil Rock est grand fan de ça alors je prends une photo et lui envoie, il reconnaît immédiatement que c’est Grupo Firme, un de ses préférés.

Le lendemain matin on prend un Didi pour le Terminal del Norte puis un bus pour Zipaquira, petit bled à une heure au nord de la capitale. Le centre historique avec sa grosse plaza est ultra-charmant, et à quelques minutes de marche en haut de la côte qui surplombe la ville il y a une des attractions cinq-étoiles du pays, la cathédrale de sel. On pénètre dans une mine où un corridor est aménagé en chemin du calvaire de Jésus, avec des croix taillées dans la roche, et une grosse grotte à la fin qui est comme une église pas d’fenêtres. Un audio-guide (le mien en français, le sien en chinois) nous donne des explications. Assez flyé comme endroit, et ça a valu le détour. On dîne et on glande un peu plus dans Zipaquira puis on reprend un autobus.


À l’aller, on avait pris le bus en dehors du terminus, devant un centre d’achats, mais là on se fait débarquer à l’intérieur de l’enceinte, avec toutes les plateformes pour les lignes du Transmilenio, leur réseau de bus. Pour sortir il faut scanner sa carte pour activer le tourniquet, comme m’informe une matante avec un dossard.
“J’en ai pas”
“Il t’en faut une”
“Mais j’en ai pas”
“Il t’en faut une”
“Mais j’en ai pas”
“Il t’en faut une”
Ça tourne en rond en crisse comme conversation. Je veux pas prendre le bus, je veux juste sortir sti, j’ai déjà payé dans le bus interurbain. Faque comme un sans-dessein, je propose qu’on fasse juste descendre d’une des plateformes et qu’on traverse la rue. On se fait immédiatement entourer par la policia. Maudiiiit…
“IDENTIFICACIÓN!!!” que leur leader nous jappe après. Elle check nos copies de passeports et fouille mon sac, espérant y trouver de quoi de suspect, puis elle nous rend tout ça et nous dit de sacrer le camp avant qu’ils changent d’idée. Woups. Faut que je change mon mindset de me sentir tout permis, comme je fais en Chine, les cops colombiens ont peu de sens de l’humour.

On se rend à Usaquén, quartier au nord-est de la ville, et on se balade dans son marché et ses vieux buildings de l’époque coloniale, pas mal plus gentrifié qu’autour de la Plaza Bolivar. Après un arrêt bien mérité à la microbrasserie, on fait comme la veille et on marche 7-8 km jusqu’à notre ‘hood, arrivant juste un peu avant la noirceur. On passe par des coins un peu plus classe moyenne ou même luxueux, avec des tours à condos et des centres d’achat et une grosse base militaire. La tentation de faire de quoi en soirée autre que juste boire quelques bières dans la chambre d’hôtel est là mais on l’ignore, fuck le FOMO, ce fut une journée assez remplie et on a pas mal de choses à notre agenda le lendemain.
Dernier jour dans la métropole. On se rend au début du sentier pour Monserrate et on amorce la grimpée. C’en est une mautadine, et rendus en haut on profite de la vue folle sur l’immensité grise de la ville nichée dans les montagnes verdantes. J’avais déjà vu des photos bien sûr, mais elles font pas justice à l’immensité de la chose.

On redescend par le même chemin, ce qui nous mène à La Candelaria et ses rues qui alternent entre pittoresques et louches. Cette fois les musées sont ouverts, on explore les expositions au Museo del Oro et ensuite au Musée dédié à l’art plutôt unique de Fernando Botero et sa prolifique collection d’individus grassouillets.

Cette fois au lieu d’y aller à pied on prend un taxi pour l’hôtel, disons qu’on a marché en masse durant les derniers jours. Avec quelques heures à tuer avant notre autobus de nuit vers Salento, on se pose dans le bar, qui est rempli de granoles et de hipsteurs urbains avec des foulards et des grosses lunettes, participant à un genre de open mic de poésie et de musique acoustique. On fait nos cossins d’internet et j’en profite aussi pour aller me faire couper les cheveux et trimer la barbe à un salon de barbier avoisinant. Puis on se rend à la gare routière. Ça qui est ça.
Hâte de lire la suite.
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