Les Îles-de-la-Malchance

Je sors du traversier et je prends la route vers Havre-aux-Maisons. Une fois passé le viaduc, tous mes doutes vis-à-vis si ça vaudrait le coût et le détour se sont évaporés immédiatement en voyant l’isthme vert contrastant avec le bleu de la mer de chaque bord, et les maisons de pêcheurs toutes éparpillées sur la terre avec quasi aucune trace de végétation autre que du gazon. Ostie que c’est beau. Les photos que j’avais vues n’y font pas justice, je comprends soudainement pourquoi tous les boomers québécois capotent sur les Îles-de-la-Madeleine.

Ça fait un peu plus de deux semaines que je suis parti de Québec avec mon bicycle, via la 132 vers Rimouski et ensuite Amqui jusqu’à Campbellton, Bathurst, Tracadie, Miramichi, Bouctouche, Shédiac puis l’Île-du-Prince-Édouard. Après quelques jours en territoire bloke, ça fait du bien de revenir au Québec. Le port de Souris pourrait même être une enclave québécoise, vu que je vois aucun char avec une plaque autre que du Québec dans les longues files à attendre l’embarquement, et que du français parlé une fois à bord. 

Étant le seul cycliste en cet après-midi de mi-septembre, je suis le premier sorti, et ça fait du bien de me dégourdir les jambes. Mon moral est haut, mais à peine cinq minutes dans ma randonnée, POW je pogne un flat. Une vis rouillée est entrée direct dans mon pneu avant, et quand je la tire de là, tout l’air sort en une seconde. Shit. Je me stationne à côté de la pizzéria, et peu après il commence à pleuvoir. Double shit.

Je sors mes outils de mes sacoches, je démonte le pneu et je patch le trou avant de réassembler et de gonfler ça avec ma pompe à main. Rendu là il commence à faire noir, il faut je trouve une place où dormir, et il s’adonne que juste à côté il y a une ligne de chalets qui font face à la plage. Il y a des pancartes de classique NIMBYisme madelinot qui disent au monde de pas y aller, moi je les ignore et prends le risque, vu que les chalets sont vides et que je suis pas mal sûr que les occupants ont décrissé pour la saison hivernale, à voir le total manque de stock sur les balcons. Je plante ma petite tente sur le sable et je positionne le bicycle pour pas être vu de la rue.

Le lendemain, je constate que ma roue avant tient l’air, toujours bin ça. Quelques centaines de mètres plus loin, j’arrête à une roulotte qui loue des vélos aux touristes et j’emprunte leur pompe pour gonfler mon pneu un peu plus, vu que ma petite pompe à main a des limites, puis je continue sur la 199.

Le paysage est franchement saisissant, et de loin le plus beau que j’ai vu de tout ce voyage (il sera ensuite supplanté par le Cap-Breton et Terre-Neuve, pas pour lui enlever rien cependant). Ouin, il y a des jolis coins dans le Bas-St-Laurent et la vallée de la Matapédia et le Nouveau-Brunswick et l’IPE, mais ça bat pas les dunes et le paysage marin qui m’entoure alors que je gobe les kilomètres en me dirigeant vers le nord.

Un peu passé Pointe-aux-Loups, la malchance survient de nouveau. Mon pneu est rendu tout mou, et quelques coups de pompe sont juste une mesure temporaire avant qu’il se dessouffle encore. Sti. La patch tenait avant, mais pas avec la pression que j’ai ajoutée à matin. Faque je démonte ma shit encore une fois, et là je sors ma tripe de rechange.

Et là je vais y aller d’un aveu: je suis cave comme un âne. J’ai jamais réparé de pneu avant hier soir, même si je me déplace en bicycle quasi quotidiennement et que j’ai fait de nombreux voyages de 400 km et plus. Je laissais toujours quelqu’un s’en charger, surtout en Chine où les mécaniciens de vélo chargent juste pour les pièces. Alors là je gosse, et à force d’essais-erreurs j’arrive à rentrer tout ça, mais j’ai dû installer la tripe croche parce que quand je regonfle le tout, ça fait une grosse bosse et le pneu débarque de la roue. Je réessaie du début, même résultat, au point que je me demande si c’est la tripe qui est défectueuse, peut-être j’ai plié la valve en la roulant pour la mettre dans le fond de mes sacoches (non; c’est juste moi qui est un incapable)

Alors quand un couple de boomers arrêtent leur RV et me demandent si j’ai besoin d’aide, j’hésite un peu, puis j’accepte leur offre. Ils font de la place en arrière pour mon bicycle et mon barda, et avec un petit pincement au coeur on retrace les 30 km que je viens de me taper, jusqu’au magasin de vélos de Cap-aux-Meules. Je les remercie à profusion, puis le barbu dans l’atelier m’arrange ça, en plus de m’ajuster les freins, et j’en profite pour acheter quelques pièces aussi.

Avec tout ça, ça me tente pas de refaire la même route, alors je vais vers le sud au lieu. La route en construction me fait chier au max, et le vent dans la face avec rien qui l’obstrue me ralentit et extrait une litanie de sacres de ma yeule, mais je pousse et éventuellement j’arrive à Havre-Aubert et j’achète quelques bières de À l’abri de la tempête dans un dépanneur pour célébrer. Je bois la blonde sur le quai en regardant l’Île d’Entrée et je garde la rousse pour plus tard.

En pédalant la route secondaire dans le village de Bassin, je remarque des drapeaux acadiens devant à peu près chaque maison. Les seuls drapeaux fleurdelysés que j’ai vus à date étaient devant des buildings du gouvernement, décidément ils ont une bien étrange culture hybride ces Madelinots, en plus de parler une version du français qui me fait me retenir pour pas partir à rire.

Rendu sur le bout le plus au sud-ouest de l’île, je prends une route de terre qui bin vite devient juste deux tracks de pneus dans le gazon, et je continue par curiosité. J’arrive à une grande plaine qui mène à une falaise avec la mer à je-sais-pas-combien de mètres en contrebas, et il y a une belle patch de terre parfaite pour camper, avec pas un chat aux alentours. Il y a un chalet au loin de chaque côté, et c’est tout. Je sors ma bière et mes produits cannabinoïdes et je m’installe.

Le lendemain, je fais du kilométrage en crisse, la 199 au complet jusqu’à l’île de Grande-Entrée. Je passe par Old Harry, l’enclave d’anglophones, et au dépanneur je les entends parler leur version toute mâchouillée de la langue de Shakespaspire, disons que c’est plus proche de Terre-Neuve que de la CBC leur affaire. Puis je retrace mes pas jusqu’à Pointe-aux-Loups et là où j’avais mangé mon dîner la veille, mais je me fais ASSAILLIR par un nuage de maringouins, alors même si la noirceur approche et la fatigue se fait sentir, je continue vers Havre-aux-Maisons, arrêtant quelques kilomètres avant, sur le bord d’une baie. Un gros 160 km, ma plus grosse journée à date en terme de distance, quand même spécial que ça soit survenu sur un archipel qui est à peine 100 km d’un bout à l’autre.

Il commence à pleuvoir juste quand je suis installé dans mon sleeping bag, ce qui me fait sourire. Mais la chance durera pas: je suis entre le sommeil et l’éveil, quand j’entends un animal qui gosse avec le sac de plastique dans lequel j’ai mis mes souliers, à même pas six pouces de ma tête de l’autre bord de la toile de tente. Je lâche un HEILLE!!! et j’entend le p’tit tabarnak qui se sauve avec le sac. Faque je rouvre le zip je sors dans la noirceur, et je vois le sac à quelques mètres de là dans la garnotte. Quand je vais le chercher, il y a juste un shoes dedans. Fuck!!! Je balaie les environs du regard, mais il fait noir comme dans le cul d’une vache, je suis tout nu, et il bruine légèrement, si je reste dehors trop longtemps je vais retourner trempe dans le sleeping bag. Je me dis que c’est sûrement un raton-laveur qui pensait que le sac contenait de la bouffe, qu’il est parti avec en panique, et que je vais trouver l’espadrille élusive pas loin de là le lendemain, puis je vais me coucher.

Pas de chance. Même à la clarté, introuvable. Je demande aux passants si ils ont vu de quoi, un d’eux me dit que c’est plus que probablement un renard qui a fait ça. Un renard?! Ouin, les p’tits estis, ils volent tout ce qui traîne, et nombreux sont les touristes qui ont perdu des souliers ou des outils laissés en dehors de leur roulotte ou leur char.

Faque je continue avec le pied gauche emballé dans un sac de plastique, à la grosse pluie, avec les dents de la pédale qui me rentrent dans la plante du pied douloureusement. Je considérerais une solution broche à foin du genre d’utiliser un morceau de carton comme semelle de fortune, mais je suis somme toute pas si loin de la civilisation et du magasin de Chaussures Pop de Cap-aux-Meules. Autant en rire, après tout il commençait à être temps que je m’en achète une nouvelle paire, juste que je pensais faire ça rendu en Nouvelle-Écosse, où ce serait moins cher. Mais finalement ça me coûte juste une centaine de piasses, et de faire rire de moi (de bon coeur) par la madame en arrière du comptoir.

“Bon! Un autre renard hein?”

“Sti, si c’est si commun, comment ça qu’y a pas d’avertissements nulle part? Ah, je l’sais, c’est vous qui lobbyez contre, à cause de la business que ça vous emmène?”

“Hahaha, oui, t’es vraiment pas le premier à débarquer dans mon magasin avec juste un soulier dains pieds!”

Bien chaussé, je vais à la poissonnerie d’à côté acheter un sandwich au crevettes, de la morue fumée et de la mousse de homard, et au dep acheter le reste de la panoplie d’À l’abri de la tempête que j’ai pas goûtée encore. Puis je me rends à l’auberge, parce que des fois il faut se gâter un peu et aussi parce qu’il pleuvra à scieaux toute le reste de la crisse de journée. Je prends possession de mon lit de dortoir (à 62 piasses, ouchy-ouch), je mets mon stock tout mouillé à pendre, et je mange mon lunch dans la salle commune, faisant connaissance avec les autres gens.

Ça dit “auberge de jeunesse” sur la porte mais les seuls ‘heunes là sont des Français, sinon le reste de la clientèle est composée de boomers. Ils sont de bonne compagnie, et bin vite je deviens une légende parmi eux pour être le crazy motherfucker qui s’est rendu là en bicycle à pédales, et pour s’être fait voler par un renard. On passe pas mal tout l’après-midi et la soirée à jaser autour de la grande table, faute d’avoir vraiment de quoi d’autre à faire, avec la pluie battante. Il y a le couple de profs d’université à la retraite, les petites matantes bin gentilles, et le classique mononc’ tannant taquineur et sa femme qui rit fort à chaque fois qu’il lâche une craque. Tout le monde s’amuse bien.

Le lendemain, je reprends le traversier vers Souris, je traverse l’Île-du-Prince-Édouard du nord au sud d’une shot, je prends un autre traversier, et je campe dans le coin de Pictou, en Nouvelle-Écosse, avec somme toute des bons souvenirs des Îles-de-la-Malchance.

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