…et Miquelon

St-Pierre-et-Miquelon, ce DOM/TOM (Département Outre-Mer/Territoire Outre-Mer) qui est le seul restant de la Nouvelle-France après 1763, est composé de deux îles: St-Pierre est la petite qui contient 90% de la population, et Miquelon est pas mal plus grosse mais moins peuplée. Elle ressemble un peu aux Îles-de-la-Madeleine, avec deux îles montagneuses reliées par des bandes de sable basses.

Quand j’embarque sur le traversier avec mon fidèle bicycle, je remarque que plein de passagers portent des maillots de soccer verts. Je leur demande, et ils me disent qu’ils vont à la Coupe de l’Archipel, la finale de leur ligue de soccer (à trois équipes). Ah bin, ça me fera de quoi à faire.

Après une heure et quelque, on s’amarre, et je traverse le petit village. Je vois une route qui monte la colline, je considère la grimper, mais j’ai un pneu endommagé depuis deux jours. J’ai déjà commandé un pneu de rechange que je vais recevoir par la poste à mon retour à Terre-Neuve, et je veux pas tenter trop ma chance d’ici là. Alors je me rabats sur un petit dépanneur dans le sous-sol d’une maison, j’achète quelques bières de la panoplie Miqu’Ale et je les consomme assis seul sur la plage en regardant les vagues laper les roches.

Puis je vais au terrain de soccer, où la game des petites filles se termine et celle des adolescents commence. Après ça, c’est le main event, la finale entre Miquelon et St-Pierre. Ils ont l’air de prendre ça au sérieux. Mon gilet est vert, de la même couleur que les visiteurs, mais je souhaite secrètement que Miquelon gagne, parce que j’imagine qu’il va y avoir un party et que je pourrai m’y glisser.

Ça commence mal, après une seule poussée offensive, c’est 1-0 St-Pierre. Mais éventuellement Miquelon égalise, puis rajoute un but, puis deux autres, et ça finit 4-1. C’est quand même une partie enlevante, bin sûr on parle de ligue de garage ici, c’est pas des professionnels, mais reste qu’il y a des sacrés bons joueurs de soccer là-dedans.

Des gens font des discours, des photos sont prises, des joueurs sont interviewés par la TV locale, puis il y a un genre de buffet avec mousseux ou bière incluse, j’en profite bien. Mais là, le plus cool survient: les joueurs embarquent tous dans un camion flatbed, et une parade commence. Le camion se met à avancer lentement dans les rues du village, suivi de quelques chars qui klaxonnent et d’un gros groupe d’enfants en bicycle. Je me joins à eux. Bin vite je me fais remarquer, le seul adulte dans le convoi de cyclistes, avec un vélo de route strappé de grosses sacoches, et les joueurs me passent des bouteilles de bière, que je cale et que je leur relance.

Ça tinque en maudit dans ce camion-là, ils ont une pile de caisses d’Heineken et de Kronembourg, et des fois ils passent devant une maison et quelqu’un leur en tend une autre, sous l’acclamation générale. Je dois bin boire vingt bouteilles durant la parade, mais ce sont des minis de 250 mL qui se claquent en une gorgée. Et vu que ces gens sont tous des chasseurs, de tous bords tous côtés il y a des bonhommes avec des fusils qui tirent dans les airs, ce qui est extrêmement redneck et extrêmement drôle!

Ça dure une éternité, et vu que le village est minuscule, on doit faire le tour au moins cinq fois. Le party continue dans leur local communautaire proche du terrain de soccer, et à cause de mon enthousiasme et de mon exotisme, je suis invité, ce qui est gentil de leur part. Je suis même interviewé par le journal:

On reste là un autre quelques heures, durant lesquelles il manque pas de bières, et des pizzas et du poulet frit de Mary Brown’s font même leur apparition. What the hell, Miquelon a juste 500 habitants, d’où ça sort ça?! Je me pose pas plus de questions, et me gave pour absorber le gallon de bière dans mon estomac.

Le MVP du match me dit qu’il travaille comme mécanicien pour le gouvernement, et qu’en fait presque tout le monde à Miquelon est fonctionnaire en une capacité quelconque. Le gouvernement français pompe des milliards d’euros dans l’archipel et l’opère à perte depuis longtemps, depuis que la pêche à la morue est pus rentable, mais ils penseraient jamais à l’abandonner, ce serait une perte de face juste trop magistrale et ils tiennent mordicus aux restants de leur empire colonial.

Je remarque aussi que leur accent est weird, les jeunes parlent plus ou moins comme le Français moyen, mais les vieux gardent un fond de parler acadien, genre 2/3 français de France pis 1/3 acadienneries. On me dit que les Miquelonnais sont de vieille souche acadienne, certains étant arrivés pour fuir la persécution et la déportation en 1755, et c’est les mêmes familles qui sont là depuis. Je demande si il y a des métros là, non, St-Pierre en est plein qui viennent pour du travail saisonnier ou temporaire ou gouvernemental, mais à Miquelon il y a juste des Miquelonnais. Ils semblent pas trop aimer St-Pierre non plus, et les St-Pierrois aiment pas les métropolitains. Et en France les gens aiment pas Paris. Crisse, je me demande si à Langlade (l’encore plus petit village où j’irai le lendemain) ils aiment pas Miquelon, et si il y a un ermite qui vit dans un tipi au milieu de la forêt qui aime pas Langlade.

Vers minuit, ça se dirige au bar du village, où ça continue de couler à flot. Comme la veille, le 3/4 des tounes qui jouent sont québécoises, c’est assez spécial de voir des adolescentes françaises qui chantent Tassez-vous-de-d’là au complet, et bien sûr, quand Marjo fait son apparition dans la playlist ça vire fou braque.

Une adolescente me demande d’où je viens.

“Du Québec”

“De où exactement?”

“Dans l’ouest, proche d’Ottawa, ça s’appelle Gatineau.”

“Oh putain! Gatineau! Hé ho Philippe! Amandine! Y a-t-il un truck qui est rentré icitte la nuitte?”

Les autres ados acoudés au bar se rapprochent, sourire dans la face.

“Bah non, aucun truck qui est rentré icitte la nuitte, quoi. J’ai l’doua!”

“Et des huiles usées? Y a des huiles usées?”

“Je viens de te dire que je suis mécano! Je viens de te le dire, putain!”

Je suis plongé dans un état de confusion total, avant que je me rende compte qu’ils citent le légendaire Marc McDermott, qui est de toute évidence entré dans leur culture hybride francophone comme il l’a fait au Québec.

Je reste là longtemps, à jaser avec ces gens sympathiques, et à 4 heures du matin il y a encore une cinquantaine de fêtards, si je compte bien, c’est 10% de la population du village. Il y a différentes fois où quelqu’un parle de la possibilité de m’héberger chez eux ou que je crèche au local communautaire sur un matelas prévu pour quand des joueurs de St-Pierre passent la nuit, mais finalement je fais juste planter ma tente à la sortie du village, à côté d’un bateau échoué.

Je me réveille en fin d’avant-midi, surprenemment en pleine forme, faut dire que je m’en étais tenu à la bière, en général, et que j’avais slaqué en fin de soirée. Je lève le camp et je pédale lentement vers le sud, dans le paysage un peu désolé des dunes et des collines de gazon, avec la mer à ma droite. En une heure et demie je suis rendu à Langlade, pas même vraiment un village, plutôt quelques chalets habités temporairement pour la plupart. Il y a un petit magasin/restaurant, mais il est fermé depuis septembre. Ma gourde est presque vide, alors quand je vois un pick-up qui se stationne devant une maison et un monsieur qui en sort, je lui quête de l’eau et il entre me remplir ça. Quand je lui dis que je compte me balader dans le bois pour passer le temps il me dit que c’est pas la meilleure idée, vu que c’est le temps de la chasse au chevreuil.

Alors je m’assis sur le bord de la plage et je lis un livre en attendant que le traversier arrive. Il se pointe, et vu qu’il y a pas de quai à Langlade, des chaloupes pneumatiques viennent nous chercher pour nous emmener au bateau ancré. Les autres passagers ont des bottes de rubber, moi j’enlève mes souliers et remonte mes pantalons aux genoux.

De retour à St-Pierre, je pédale dans les petites rues quand je tombe sur Nico et Arthur, et ils m’invitent à rester de nouveau. Ils se dirigent au Xixto pour boire un verre, mais c’est pas barré chez eux, je peux aller déposer mes choses et aller les rejoindre. Ce que je fais, comme la dernière fois je mets le bicycle dans l’entrepôt du restaurant accoté sur des caisses de bouffe et je vais me changer vite fait avant de rejoindre mes chums. Je paye une tournée et on reste là un bout à jaser dans le bar pas mal plus tranquille, en ce dimanche début de soirée. Puis on passe à la petite épicerie, j’achète des fruits de mer bizarres en conserve pour supplémenter mes provisions de cyclotourisme à venir et des bouteilles d’alcool français, et aussi du stock pour faire à souper. De retour à l’appartement, Nico s’en charge, il fait des pâtes carbonara qui enverraient un Italien dans une crise d’apoplexie avec la quantité d’ingrédients non-orthodoxes mais c’est bon et ça nous remplit bien. On bouffe ça en regardant divers vidéos de musique sur YouTube, et ainsi se termine mon séjour dans cet archipel bizarre avant que je retourne à Terre-Neuve le lendemain matin.

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