La Longue Marche

L’autre jour, je foirais sur internet et je suis tombé sur un genre de forum où des blanc-becs sur le point d’aller en Chine posaient les questions les plus fucking asinines ever:

“Je suis vegan gluten-intolérant, est-ce que je vais trouver de la bouffe pour moi dans les restaurants?”

“Est-ce que je peux emmener mon Lonely Planet: Chine là-bas? J’ai entendu dire qu’ils le confisquent à l’aréoport”

“Ma job de prof d’anglais dans une maternelle m’offre 16 000 RMB par mois, est-ce que c’est assez pour vivre?” [genre trois fois le salaire national moyen]

“Je suis pansexuel demi-queer gender-fluid et mes pronoms sont iel/ielle, quelle est la vision que les Chinois ont des LGBTQIIAA2SBBQWTF+?”

Heille sti.

Chus atterri à Zhengzhou en 2008 avec aucune connaissance et encore moins de stress, et juste une fois que la petite camionnette rouillée qui est venue me cueillir a commencé à s’enfoncer dans le creux de la province centrale du Henan j’ai allumé “What the fuck, je m’en vais vraiment vivre en Chine pour la prochaine année moé là?!”

Avec ce tableau complètement vierge, et l’immersion quasi-totale, j’ai donc appris sur le tas assez vite merci, et je suis quand même très content que j’aie abouti là au lieu de Shanghai ou whatever. Ma Tim Year (année de baptême de vie en Chine) a donc été passée dans un environnement de stimulation intense, à boire de la bière et du baijiu dans des spots de barbecue louches, me promener en scooter saoul dans les routes poussiéreuses de campagne, explorer l’environnement complètement wacky et dépaysant où j’étais rendu, avec des Chinois ruraux d’une gentillesse incroyable qui se calissent d’à peu près toute et des expats un peu cowboy que j’admirais et dont j’émulais le mode de vie. À aucun moment je questionnais quoi que ce soit, contrairement aux petits jeunes de nos jours qui sont pas capables d’aller tirer une pisse sans l’approbation d’inconnus sur internet.

Deux de mes chums d’aventure de l’époque étaient Brendan et Phillip, deux gars du Vermont qui avaient mon âge, 23 ans à l’époque. Ils buvaient peu et avaient des blondes (une qui était là avec nous, l’autre aux USA) donc mes plongées dans la débauche plus sordide étaient en compagnie d’autres gars, et avec eux je faisais plein de choses un peu plus PG-13 mais quand même amusantes, genre explorer des buildings abandonnés, grimper des clôtures pour aller voir le site du rail de TGV en construction, et se promener dans les villages environnants. Ils avaient étudié le chinois à Burlington et étaient déjà venus en Chine pour un semestre, et je dois dire que c’est à cause d’eux que je me suis poussé dans le cul à apprendre la langue, plus que par intérêt intrinsèque et l’évident besoin d’être capable de communiquer dans un bled de 900 000 âmes dont juste 20 étaient pas de là (15 étant des profs d’anglais du collège où on était employés, les autres étant une famille de missionnaires américains, avec des fois quelques ingénieurs de passage pour la ligne de chemin de fer). Je les regardais jaser avec les Chinois curieux qui venaient nous voir et comment ils étaient constamment crampés de rire devant les choses absurdes qui sortaient de la yeule de ces gens, et j’aspirais à être comme eux. Je le regrette aucunement, et ça a vraiment collaboré à rendre mon expérience là plus enrichissante, ou peut-être que ça a été un facteur pour ce qui est de rester trop fucking longtemps, qui sait.

En tout cas. Un jour de printemps, après une game de basketball d’après-travail, Phillip me dit qu’il pense à marcher jusqu’à Luoyang, la grosse ville voisine, et que Brendan est aussi down. J’ai déjà été à Luoyang quelques fois pour visiter ses sites touristiques ou manger de la bouffe non-chinoise, et je sais que c’est à une heure de train, un bon 70-80 km. Je le traite de craqué mental, avant de voir qu’il est sérieux, le mad lad. Bin fuck, si y sont pour faire une chose aussi conne, je suis solidement in moi aussi. On choisit un samedi soir dans les weekends à venir, et entretemps, un quatrième membre se joint à notre escouade, un homme des cavernes nommé Liu Mingli. Genre, vraiment, il est né et a grandi dans une caverne, comme des centaines de milliers de gens dans le centre de la province de Henan, avec ses collines en glaise où des trous sont creusés et des gens y habitent. Il est prof d’informatique dans notre collège, un grand gaillard plutôt prisé quand on choisit les équipes pour nos games de basket, vu qu’il est difficile à déloger d’en dessous du panier.

En début de soirée, on se met en route. Les boys ont suggéré de faire ça de nuit, pour éviter la chaleur et le traffic et aussi parce que ça promet d’ajouter un côté sinistre à l’opération. On se dirige vers la ville de Gongyi, une distance que j’ai couverte à pieds une couple de fois quand ça me tentait pas d’attendre le bus ou un taxi, et à chaque fois le 6-7 kilomètres comptait pour mon exercice de la journée, mais là ce n’est qu’un début. Puis on oblique vers le sud-ouest, vers des quartiers et banlieues de la ville où je suis jamais allé. Il fait noir depuis un bout, j’ai aucune estie d’idée où on est, et je trust Phillip avec sa carte en papier et sa planification. Rappelons-nous qu’on est en 2009, avant les téléphones à GPS et tout ça.

Sur une route autrement déserte et quasiment pas éclairée, on tombe sur un petit magasin ouvert. On remplit nos sacs à dos de snacks chauds ou emballés, de limonade, et d’eau, moi je me prends même une canne de bière. La madame semble pas trop être surprise que trois bizarros au phénotype européen sont devant elle, mais quand elle demande où on va et on dit qu’on marche à Luoyang elle dit “QUOI?! Mais c’est loin! De où vous arrivez?” et quand on répond Gongyi, elle dit “Ah, OK, pas trop pire”

Trois heures plus tard, nos réserves de liquide et de bouffe sont épuisées, alors on répète l’opération.

“Où vous allez comme ça?”

“Luoyang”

“QUOI?! Et où avez-vous commencé?”

“Gongyi”

“QUOI?!”

Ça veut dire on progresse, j’imagine.

Le moral est encore haut, même si on est bien passé minuit et qu’on marche depuis des heures. On conte des jokes, on aide Liu Mingli avec son anglais et moi avec mon chinois, et on prend des photos de buildings bizarres, dont une énorme centrale thermique, une usine de chars à trois roues, et des gratte-ciels un peu pas rapport dans le milieu du nowhere comme ça.

Le ciel commence à s’éclaircir quand on arrête pour un autre pit stop. Le bonhomme remarque qu’on est dégouttants de sueur et couverts de poussière, et demande d’où on arrive comme ça.

“Gongyi”

“QUOI?! Pis vous allez où?”

“Luoyang”

“Ah OK”

On a passé d’un seul QUOI?! à deux et là on est redescendus à un seul. Bon signe. C’est rendu “plausible” qu’on se rende à Luoyang, et on en rit.

Mais même si la motivation est encore là, la réalité de la chose nous rattrape peu à peu. Je suis pas “fatigué” dans le sens d’avoir le goût de dormir, mais mes muscles de jambes ont quand même une limite, et elle approche, surtout avec la nuit blanche entière. Liu Mingli est le plus mal en point, il traîne de la patte, et souvent on doit l’attendre, ce qui mène au scénario un peu paradoxal des marcheurs les plus aguerris qui se trouvent à prendre des breaks longs et fréquents, pendant que celui qui en a le plus besoin profite de juste quelques minutes ici et là.

Un moment donné, il enlève un soulier (une espadrille de basket, pas ce qu’il y a de plus approprié pour l’occasion), grimace, et dit “Shuipao”. Brendan traduit, il a une ampoule, et pas une petite. Moi même j’en ai une sur chaque talon qui sont encore indolores mais ont le potentiel de me faire souffrir le martyr. Quant aux deux Américains, ils sont indemnes, avec leurs sandales de randonnées qui ont rendues leurs pieds tout noirs mais les ont épargnés des points de friction.

On délibère donc, on voulait se rendre à la place centrale de Luoyang et revenir avec un des nombreux trains quotidiens, mais à moins de se séparer, ça arrivera pas. On décide donc de faire signe au premier bus qui passe, et c’est crevés morts mais avec un certain sens de l’accomplissement qu’on boite éventuellement vers nos logis respectifs deux heures plus tard. En trouvant le pont qui a été notre ligne d’arrivée et en reconstruisant la route avec Google Maps, on verra qu’on a quand même parcouru un sérieux 73 km, plus que j’aie jamais marché d’une shot avant et depuis par un facteur d’au moins deux. Pas pire.

2 thoughts on “La Longue Marche

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  1. Intéressant, bizarre tout de même de faire une telle randonnée de nuit. Vous ne pouviez pas voir le paysage. C’est vrai que c’est moins chaud.

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