La fois où j’étais ivre et bruyant en public, et que je me suis fait arrêter par les mêmes policiers deux fois à 20 minutes d’intervalle

Jean-Sébastien-Le-Cul-Terreux et moi, on était déjà bien ivres avant même d’arriver dans le club. On avait descendu quelques grosses bières Chang au buffet de barbecue à volonté pour célébrer son retour en ville, et bien qu’aucun d’entre nous ne soit si friand de boîtes de nuit, on a décidé d’aller faire un tour dans l’énorme club bondé de jeunes Thaïs un peu en périphérie.

chiang rai club.jpg

Il faut soit payer un cover, soit acheter un 26 onces de Johnnie Walker Red, qui vient avec un seau de glace et des mixers à volonté. Bien entendu on opte pour la deuxième option. Le reste de la soirée se déroule sans histoires, tout le monde s’amuse bien, et avec les groupes d’adolescentes, de gais, de métrosexuels ou de cateuils qui nous aident à alléger notre bouteille de whisky en venant trinquer avec les deux seuls Blanchâtres de la place, dans le temps de le dire il est 3 heures du mat’, la bouteille est vide, ainsi que quelques bières et vodkas-Red-Bull. On sort du bar dans la chaleur moite, et je propose de marcher jusque chez moi, un bon quarante minutes, pour dégriser un peu. On zigzague entre les chariots de bouffe de rue, et on se met à longer les magasins barricadés sur le boulevard.

C’est là que je commence à perdre des bouts. Je suis en train de chanter une chanson dans ma tête, quand je me rends compte que J-S est pus là. Je fais un U-turn, et je le vois au loin. Je pousse un soupir de soulagement et j’accélère le pas.

Alors que je m’approche, je vois qu’il est pas seul.

Et que les deux bonhommes à qui il parle sont en uniforme brun, avec des gros revolvers à la ceinture.

Et ils ont pas l’air très aimables.

Un des deux policiers parle un anglais assez compétent. La seule raison qu’un policier thaï va se casser le pénis pour apprendre une langue aussi loin de la sienne est pour avoir accès aux portefeuilles bien garnis des falangs qu’il voit comme des envahisseurs qui traitent son pays comme un terrain de jeu.

J-S m’explique ce qui se passe:

“Tantôt, quand t’as sacré un coup de pied dans la clôture à cause du chien de garde de l’autre bord qui nous jappait après, bin il s’est mis à japper encore plus fort, et ça a faite une réaction en chaîne avec toutes les chiens des alentours. T’as réveillé le quartier au complet, man!”

J’ai pas de souvenir que de quoi du genre se soit passé, mais c’est très plausible. Le policier délibère avec son collègue, puis dit:

You must pay fine. 10 000 baht!

L’équivalent de 350$. Un tiers de mon salaire mensuel.

No way! That’s way too much!

OK, OK… 1000 baht, OK?

Ça prenait pas plus que ça pour confirmer qu’ils sont plein de marde et que tout ça n’est qu’une tentative d’extortion, même si ouin, peut-être que je suis saoul et bruyant. Mais on est en Thaïlande, c’est pas comme si moi-même je me fais pas constamment réveiller par des saoulons bruyants dans la rue à côté de chez moi.

J-S revient d’Amérique du sud, où les rues pas sûres (ainsi que sa tendance semblable à la mienne à se mettre dans des situations risquées caves) lui ont donné l’idée d’un decoy wallet. Ainsi, le portefeuille que le deuxième policier a en main est vide, avec juste quelques piasses et une carte de bibliothèque expirée. Le mien est encore dans mes poches. Il propose qu’on sacre le camp en courant, mais j’habite dans cette petite ville, alors c’est pas une option désirable.

Alors j’agis de la même façon que chaque fois que je parle à des agents de la paix, surtout quand je viens vraiment de commettre quelque chose: j’adopte une position soumise, respectueuse, et en plus je sors mon thaï du dimanche. Le policier plus âgé, qui a pas dit un mot à date, me demande dans cette langue:

“Tu habites ici?”

Khap

“Où?”

Je lui donne des indications assez vagues mais qui montrent quand même que je connais la ville et que je suis pas en train de leur en passer une belle.

“On va vous laisser aller, mais rentrez chez vous directement OK? Vous êtes saouls”

Puis il tend à J-S son portefeuille. Je mets mes mains ensemble à la hauteur de ma poitrine, je m’incline, et les remercie. Ils enfourchent leurs motos et disparaissent.

Ça aurait dû finir là. Les deux on rit de notre petite mésaventure, puis on se remet en marche.

Arrivés à une intersection, je propose qu’on tourne à gauche.

“Pourquoi? Messemble que c’est tout droit, pour retourner au centre-ville?”

“Ouin, mais t’as vu comment le jeune policier était en tabarnak qu’on s’en aille sans rien payer? Tout d’un coup qu’ils cherchent à crosser d’autre monde, échouent, pis décident de revenir nous pogner? Moi j’dis qu’on prend les petites rues”

Quelle idée conne, mon dieu. C’est ça qui arrive quand tu as cinq gros verres de whisky et un gallon de bière dans le corps.

La petite rue, que je croyais mener à un autre boulevard que je connais bien, s’avère être un cul-de-sac. Qu’est-ce qu’on fait? On backtrack ou on saute la clôture?

Ha.

On parvient dans une espèce de cour à scrap pas éclairée, qu’on traverse en courant au cas qu’il y ait des chiens. Puis on grimpe l’autre mur, et on saute en bas.

Je les ai vus avant même que mes pieds touchent le sol. Eux aussi, à la lumière du lampadaire juste à côté.

“QUOI? ENCORE VOUS AUTRES?”

Même le policier plus âgé, si clément il y a à peine cinq minutes, semble être en beau calisse. Son compagnon nous engueule en anglais:

You trespassing! We tell you to go home, why you not go home? You come police station now! Big problem for you!”

J’ai de la misère à voir comment ils pourraient bin nous arrêter… vont-ils appeler un char de police? Ils peuvent quand même pas nous demander de s’asseoir derrière eux sur leurs motos? Anyway j’ai aucunement l’intention, et je me remets à plaider en thaï. Je sors tout mon vocabulaire le plus poli, ce qui est pas si facile vu que j’ai appris une version plutôt brusque et vulgaire de cette langue, en discutant avec des putes et des entraîneurs de muay thai. Je leur dis que je travaille ici, que j’aime le pays, que je respecte le peuple thaï, que je veux pas causer de problèmes, que le boss de la cour à scrap me laisse passer là durant le jour (c’est pas vrai, chus jamais passé sur cette rue de ma vie), bref je sors tout mon mélodrame. J-S voit qu’il peut rien ajouter à part répéter un “sorry” de temps en temps.

Je sais pas combien de temps ça prend, mais éventuellement ils nous laissent partir pour 300 baht, à peu près ce qu’il reste dans mes poches après cette soirée de beuverie. “Go!” disent-ils, d’un air exaspéré.

Le soleil commence à se lever alors qu’on déguste une soupe aux nouilles et boulettes de poisson artificiel à côté de mon appartement. Elle a un beau goût d’échappé belle.

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