Les sans-abris d’Hambourg

À l’été 2007, je suis allé au Wacken, le plus gros festival de heavy metal sur la planète, 70 000 trippeux de musique violente qui boivent des quantités astronomiques de bière dans un champ en Allemagne durant trois jours de temps. En fait on pourrait dire que j’ai centré mon “Eurotrip” autour de ce pélerinage, en me façonant un itinéraire qui ferait que je serais dans le coin durant la première semaine d’août. Ce fut une esti d’expérience et je me suis juré de la répéter à l’été suivant, et cette fois, deux de mes chums gatinois étaient pour se joindre à la partie: Beav, le guitariste du groupe de death metal Insurrection, et Guit4rM4st3r, mon partenaire de lab de chimie analytique, tous deux grands fans de ce style musical et avec la longue chevelure pour le prouver. On s’est rendus à l’aréoport de Montréal, on a traversé l’océan, et après une escale d’une journée à Londres, on arrive à Hambourg.

En 2007, j’avais été hébergé via Couchsurfing par un dénommé Andreas, et en fait c’était ma toute première expérience avec cette plateforme d’hébergement qui allait pas mal définir la façon dont j’allais voyager pour la décennie à suivre. Donc au printemps 2008, quand les plans commençaient à prendre forme, j’ai recontacté Andy pour lui demander si il pourrait nous recevoir tous les trois, et il a accepté. C’était un gros 5-6 mois avant notre arrivée, et avec ça de réglé, on pouvait mettre le focus sur autre chose, genre finir l’université.

Andy nous accueille généreusement, avec des bonnes grosses bières allemandes, et on constate que l’appartement où j’avais été reçu l’année précédente était dans un état de chamboulement, avec des meubles manquants et plein de boîtes partout. Ils sont en train de déménager, sa femme et leur jeune kid sont déjà dans la nouvelle demeure, et dans cette période de transition et de stress, il a pris un break pour ce qui est d’héberger des couchsurfeurs. Il nous reçoit juste parce qu’il avait dit oui quelques mois auparavant et parce qu’il me connaît. Je me confonds en excuses, comme quoi il aurait dû me le dire, on se serait arrangés, mais il insiste que c’est pas un problème. Il refuse aussi nos offres de l’aider avec son déménagement tant qu’à être là, mais il nous dit de pas s’en préoccuper et d’aller visiter la ville au lieu. On se rend à un restaurant en plein air où on consomme encore plus de bière et des charcuteries et de la bouffe grasse, une bienvenue adéquate en terre allemande.

On a deux jours avant le Wacken, donc on explore la ville et son red-light district sinistres et ses bars louches pleins de metalheads de partout en Europe, avec le festival qui approche. Le deuxième jour, je me balade seul, vu que Beav et Guit4rM4st3r vont visiter des places touristiques où je suis déjà allé l’année précédente. J’arrive à l’appartement en premier, avec la clé qu’Andy m’a laissé, et je me fais de quoi à manger vite fait, prenant attention de nettoyer bin comme il faut, Andy étant pointilleux sur la propreté et nous ayant déjà averti la veille après qu’un de nous trois ait laissé une pelure de banane sur le plancher à côté de la poubelle.

Ce dernier arrive, et il a l’air horriblement fatigué, à force de travailler durant le jour, charrier des boîtes d’un appartement à l’autre, et s’occuper d’un enfant en bas âge le soir. Il me gronde pour avoir levé le siège de toilette, alors qu’il avait dit très clairement que c’est une règle que chez lui on pisse assis. Je me sens un peu poche et je m’excuse, finalement son moral remonte un peu et on va promener son chien ensemble, discutant de tout de de rien.

Quand on revient à l’appartement, Beav et Guit4rM4ster sont de retour. Alors que je suis assis avec eux dans la chambre à jaser de nos journées respectives, on entend une litanie de sacres en allemand qui viennent de la salle de bain. Je me rends là, et Andy, en beau tabarnak, me montre le siège de toilette monté. C’est une habitude pas facile à perdre, et un de mes chums a commis la même transgression que moi en à peine une heure, alors que notre hôte était déjà au bout du rouleau.

“Yo les gars, il nous crisse dehors, à cause qu’un de vous autres a pissé debout, vous vous rappelez qu’au premier jour il avait dit de pas faire ça?”

Je me fais répondre par des sourires, qui s’effacent vite quand ils voient que je niaise pas une miette. Beav va s’excuser, Andy accepte ses excuses, mais nous dit que trop c’est trop, et comme ça, on se ramasse dans son corridor, la queue entre les jambes et nos packsacks sur le dos. Au moins, bon prince, Andy nous donne une caisse de 24 canettes de bière et une tente jumbo dont il était pour se débarasser anyway.

Un peu surréaliste comment vite tout ça est arrivé, mais là on pas le temps de ruminer trop là-dessus, il est 21 heures et il faut trouver une place où rester. On s’assit dans le parc et on débouche des bières en brainstormant des idées.

Guit4rM4ster propose, vu qu’on a une tente, de juste rester dans le parc et dormir dedans. Je rétorque que la polizei va venir nous réveiller dans le temps de le dire. Essayer d’obtenir des lits dans un des hostels de la ville est une option, mais plus que probablement vouée à l’échec total, au milieu de la saison haute et avec un influx de metalheads comme nous qui arrivent pour le Wacken. Peut-être si l’hostel a une pelouse ils nous laisseraient monter notre tente pour quelques piasses? Le problème est qu’on sait pas où les hostels sont, à part lui dans lequel on a une chambre réservée pour le jour après le festival, dont l’adresse et les directions sont recopiées sur un bout de papier quelque part dans mon sac. On est en 2008, bin avant l’ère des smartphones et GPS et tout ce genre de choses qui font que les ‘heunes l’ont bin facile de nos jours.

Une deuxième bière à la main, on se dit que le meilleur plan est de se rendre en ville et d’aviser une fois rendus là. Les autobus runnent assez tard en Allemagne mais il faut quand même pas trop perdre de temps. La possibilité de pas trouver de place où dormir et de juste passer la nuit sur la brosse dans un bar est là, mais pas super enviable, vu qu’on veut se reposer un peu avant le festival où on aura peu de chances de le faire. Et éventuellement, on se met à en rire, de nos mésaventures loufoques et de la situation conne dans laquelle on s’est ramassés.

Deux gars passent dans le parc en bicycle, et l’un d’eux nous contourne à la dernière minute, comme les sans-dessein que nous sommes au milieu de la piste cyclable. Il lâche de quoi en allemand, probablement “Tassez-vous sti”, et vu qu’on répond pas, il arrête sa bécane et lâche un call à son chum, qui arrête aussi. C’est pas le scénario le plus épeurant au monde, ils sont deux et on est trois, et on est dans une banlieue assez tranquille, reste qu’il fait complètement noir et qu’on a aucune idée de ce qu’ils veulent.

“Vous parlez pas allemand?”, qu’il demande en anglais.

On lui résume le pourquoi de notre présence nowhere dans ce parc, en omettant le détail de comment on s’est fait mettre dehors, mais juste en disant qu’on est en ville pour le Wacken qui commence le lendemain et que comme des morons on a pas de place où rester.

Ils délibèrent pendant une trentaine de secondes, puis le premier gars nous dit:

“OK, vlà ce que vous allez faire. Vous voyez l’arrêt de bus à l’autre bout du parc là-bas? Prenez le bus 34A, pis descendez à la station Großmutterscheißestraße, c’est la quatrième ou la cinquième, me souviens pus. On va y aller avec nos bicycles, pis vous attendre là-bas, si vous arrivez avant, attendez-nous. Vous avez du change pour le bus?”

On les remercie à profusion, puis on suit ses consignes. Ils sont là à nous attendre, et nous emmènent dans leur minuscule appartement, où ils déplient le divan-lit du salon. Ça va être serré, mais bin mieux que d’avoir à charrier nos sacs à dos jusqu’en ville et de pas trouver nulle part où rester. On leur offre de nos bières et ils roulent des pétards, en moins d’une demi-heure on est passé du désespoir à une situation de party!

Nos sauveurs sont des Turcs-Allemands, la plus grosse minorité ethnique au pays semble-t-il, et l’un d’eux est dans un groupe de hip-hop nommé Gedankengut 24/7. Il nous donne des copies de leur mixtape, que j’écoute encore de temps en temps à ce jour, du pas pire stock pantoute. La soirée se prolonge un peu à jaser d’un peu tout et rien, et le lendemain on se rend downtown Hambourg pour le bus nolisé qui nous emmène aux lieux du festival, dans un champ proche d’un village à deux heures de là.

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