Je suis rendu pas mal creux dans le quatrième mois de mon voyage en Amérique du sud, et les choses se déroulent bien. J’aime bien le Pérou à date, et c’est une agréable surprise, après la Bolivie et sa crasse et ses scams et ses déceptions. Donc après quelques jours à Lima, je prends l’avion pour Iquitos, au fin fond de la jungle. J’ai pas vraiment de plan autre que d’éventuellement prendre le bateau jusqu’à la triple frontière avec le Brésil et la Colombie et de continuer, et d’ici là, pas sûr pantoute. Pas mal de gens se rendent là pour prendre de l’ayahuasca, ce psychédélique assez malade mental merci, mais moi j’hésite en maudit, c’est potent ce genre de chose là, et pas mal de gens badtrippent assez solide. Je compte explorer les options qui s’offrent à moi une fois rendu là.
Dans l’avion, mes deux voisins de siège, un hippie à longs dreads et une jolie demoiselle, se parlent en français alors je me joins à leur conversation. Raphaël et Wendy (qu’ils s’appellent) se rendent à Iquitos pour construire une maison dans la forêt avec un organisme quelconque, et vont rester une semaine avant d’aller en Colombie. Je me fais convaincre de les joindre.

Après un court vol, on prend un taxi collectif jusqu’en ville, où on se rend à l’hôtel qui est le point de rencontre de leur gang. Le responsable est un Brésilien nommé Thiago, qui confirme que je suis le bienvenu et qu’ils ont toujours besoin d’extra paires de mains. Parfait ça, je me prends donc une chambre dans le même hôtel et je vais me promener un peu avec les deux Français.
Iquitos est un bled d’ampleur assez considérable considérant son emplacement creux dans la jungle, sur le bord du Fleuve Amazonien. Il y a quelques vieux buildings espagnols autour d’une plaza, mais la majorité de la ville est un bidonville assez sinistre avec des rues étroites, une grosse partie étant sur pilotis. On arrête manger des snacks graisseux et boire de la bière à un petit magasin sur le bord de l’eau, le genre d’opération familiale avec une dizaine d’enfants de tous les âges assis à terre ou dans des hamacs à regarder curieusement les individus blanchâtres qui viennent d’entrer dans leur environnement. Quelques chaloupes sont amarrées sur un quai, Raphaël propose à un bonhomme de nous emmener faire un tour pour une poignée de pesos, et ça gruge notre après-midi un peu plus. Rendus loin de la rive, je demande au gars si c’est safe de se baigner, il dit oui, mais de pas le faire proche du bord, qui sont pleines de bestioles bizarres. Pas que ça me tenterait, le bord de la rivière est un sacrament de fouillis de bouteilles de plastique et de plantes aquatiques gluantes et probablement de marde humaine aussi, sur toute l’étendue de la ville.

Le lendemain matin, on load des sacs de bouffe dans une camionnette, puis on y prend place. Après une heure de route, on transfère dans une petite chaloupe à moteur, qui se met à serpenter dans une rivière étroite tributaire à l’Amazone. Très très peu d’évidence humaine apparaissent sur notre chemin, limité à des minuscules cabanes abandonnées isolées, et des fois un canot tout pourri et innondé. J’ai l’impression d’être un photographe de National Geographic qui s’en va étudier un animal rare et élusif, on est vraiment mais vraiment loin de Gatineau.
On arrive éventuellement à notre campement, dans une clairière à quelques minutes de marche dans la forêt. Des matelas et des moustiquaires sont éparpillés sur le plancher d’une maison surélevée pas finie, avec juste un toit et des poutres. Il y a aussi une autre maison en train de se faire construire, avec des sacs de jute empilés comme des briques, et un petit abri qui sert de cuisine et de salle à manger. Mon chez-moi pour les prochains six jours.
Comme pas mal de programmes semblables que j’ai eu l’occasion de croiser dans mes voyages (HelpExchange, WWOOF, etc.), le deal est assez simple, tu leur donnes 5-6 heures de labeur, et tu reçois une place où dormir et tu te fais nourrir. C’est pas l’aubaine du siècle, mais c’est quand même nice de pas avoir à dépenser une cenne de toute la semaine dans le contexte d’un long voyage d’année sabbatique, et tant qu’à être en Amazonie, je me suis dit que j’irais le plus creux possible dans la forêt.

On se lève tôt, on déjeune, et on se met à la tâche. Les filles mélangent une grosse pile de sable avec de l’eau, marchant dedans nu-pieds pour en faire une pâte homogène, et les gars remplissent des sacs avant de les transporter et de les empiler pour faire un mur. C’est pesant en saint-simonaque, et le tissu rough des sacs me scrappe les mains, mais je fais ce que j’ai à faire et j’ai pas mal tous les muscles du corps en feu quand vient l’heure du dîner.
Il y a aussi quelques Péruviens, employés pour faire du travail plus qualifié un peu, genre la charpenterie. Ils ont l’air d’une belle gang de durs-à-cuire, comme tu peux imaginer des gens qui habitent dans une forêt aussi hostile, et se promènent en bottes de rubber (pour se protéger des petits serpents) et machette à la main (pour se protéger des gros). On se fait prêter une paire de bottes et dire de les porter en permanence si on va sur les sentiers, et de pas y aller seul, parce que même si les anacondas du coin s’attaquent rarement aux adultes, ça peut arriver. Je me fais décrire assez graphiquement comment un anaconda ou autre serpent constricteur attaque des grosses proies: il s’enroule pas tout de suite autour de ton torse pour t’étouffer, mais au lieu, va attaquer un membre et le casser en le forçant à plier du mauvais bord, ce qui va te mettre en situation de choc assez intense en plus de te rendre incapacité. Il va répéter ça si nécessaire, et éventuellement te squeezer comme un tube de pâte à dents. Charmant.
L’après-midi on est libres, pas qu’il y ait tant de choses à faire autre que d’aller se baigner dans la rivière, relaxer au site, et se promener un peu. Je demande si c’est safe de se baigner, un peu rhétoriquement vu que tout le monde est déjà dans l’eau, et on me dit que oui mais de pas pisser sous aucun prétexte à cause que des espèces de parasites bizarres peuvent être attirés par la chaleur et la salinité, et entrer dans mon urètre. Non fucking merci. La baignade fait du bien, avec la chaleur dégueulasse de milieu de journée, et les enfants des travailleurs locaux se joignent à nous, grimpant sur les épaules des gringos avant de se pitcher dans l’eau en rigolant.

Qui dit jungle dit aussi maringouins, et y en a en saint-tabarnak. Ils se pointent surtout au coucher du soleil, alors qu’on est en train de souper, on entend un gros BZZZZZZZ continu, en crescendo, qui provient de la lisière de la forêt. Le moral de tout le monde baisse immédiatement, et c’est avec nos vêtements longs et un paquet de spirales anti-moustiques qui brûlent qu’on finit la soirée bunchés dans la tente-cafétéria, à se conter des niaiseries et jouer aux cartes.
Je dors comme une bûche, et même si je pensais avoir bien ajusté mon moustiquaire autour de mon matelas, une grosse gang de ces mange-mardes ont pénétré dans mon environnement, comme je constate avec déplaisir en matinée. J’ai quelques nouvelles piqûres, et je me venge sadiquement en éffouairant la vingtaine de maringouins à l’intérieur de mon filet, un par un, et bin vite le moustiquaire est constellé de petites taches rougeâtres.

La routine continue, un gros déjeuner végétarien copieux, du travail manuel qui est quand même vivifiant et aidé par quelques poffes d’un joint collectif qui se matérialise parfois, gracieuseté de Thiago, une baignade pour rincer la crasse, et un après-midi à chiller ou à se promener. Je prends l’habitude, avec Raphaël et les autres, d’aller faire un tour au village d’où les ouvriers péruviens viennent, à une vingtaines de minutes de marche via un sentier étroit et sinistre. C’est pas mal juste quelques cabines autour d’une clairière, avec un petit building à un étage qui sert d’école, et un terrain de soccer au milieu. On y passe pas mal de temps, à jaser avec les vieillards, jouer avec les enfants, et aussi jouer des games de soccer plutôt endiablées. Avec Raphaël le Breton, Pedro l’Argentin et la gang d’hommes de la forêt qui doivent jouer assez souvent, je dois être le plus mauvais de tous les joueurs adultes, mais j’arrive quand même à me rendre utile à la défense.
Je demande à une des petites filles pourquoi elle est pas à l’école, elle me dit que le prof vient à tous les deux jours (je présume que le reste du temps il va à un autre village éloigné) mais que là ça fait une semaine qu’il est pas venu. Elle a un livre avec des devoirs d’écriture et de lecture dedans, et je l’aide avec ça, mon espagnol est pouiche mais quand même assez haut pour me démerder dans mes transactions de voyageur, avoir des conversations simples, et plus que suffisant pour aider une petite fille à lire des mots dans un cahier. Si j’étais là plus longtemps j’irais à chaque jour leur donner un petit coup de main.

La semaine continue, et avec la chaleur, les bébittes et le travail assez ardu, le moral baisse et des conflits commencent à émerger. La moitié de la gang est francophone, avec des Français, une Belge, une Suisseuse et moi, et un des autres se plaint à un moment donné qu’on est toujours en train de papoter ensemble et ils se sentent exclus. Et le soir, on joue aux cartes, le plus souvent au trou d’cul, que les Latinos appellent presidente. De ce que je rappelle des règles de ce jeu, quand on jouait au cégep, le trouduc perdait ses deux meilleures cartes, mais pouvait “geler” la game en mettant une carte égale au lieu d’une supérieure quand c’était son tour. Mais avec leurs règles à eux, il y a pas cette stipulation, alors le trouduc reste trouduc continuellement à moins d’un miracle, même chose pour le président, et j’exprime à un moment donné que c’est une règle conne de pénaliser ceux qui sont probablement les moins habiles à naviguer la stratégie sans aucun avantage en retour, et de récompenser avec un meilleur deck de cartes ceux qui jouent souvent. Quiconque a le droit de pas être d’accord, mais au lieu de s’astiner avec moi sur le spot, un de ces mange-mardes est allé se plaindre à Thiago comme quoi je causais du drama. Ça m’a mis un peu en tabarnak.

Pis du côté du travail, c’est pas mieux. Un moment donné, Raphaël propose de pas prendre de break en milieu de matinée, et ainsi de finir une demi-heure plus tôt et d’éviter la chaleur assez accablante qui arrive vers la fin de notre shift. Raisonnable, non? Encore une fois, il y a moyen d’être en désaccord, mais la façon condescendante qu’il se fait refuser implique qu’on est paresseux. La copine de Thiago fait particulièrement chier, elle qui fait jamais rien de plus difficile que de ramasser des petites branches alors qu’on est là à charrier des fucking sacs de sable de 100 livres, et ose faire des petits commentaires désobligeants de même. Heille sti. Surtout qu’on est pas là pour une organisation philanthropique, mais en train de bâtir un hôtel pour une gang de Français, et que dans le futur ils vont charger des centaines de piasses à des riches touristes pour une retraite dans la nature ou je sais pas quoi, alors ouin qu’ils mangent de la marde, si ils veulent pas traiter leurs bénévoles avec un petit peu de respect.

Donc c’est sur une note un peu sûrette que la semaine se termine. Mais bon, ça en prend plus que ça pour me déprimer, et l’expérience a été positive en tout et pour tout. En tout cas je suis pas fâché de retourner à Iquitos, qui m’avait paru comme un bled insignifiant une semaine auparavant mais là semble être le summum de la civilisation, après les maringouins, l’humidité, la chaleur et les anacondas. Le lendemain on prend le speedboat vers la ville jumelle de Leticia-Tabatinga, dans un no man’s land entre le Brésil et la Colombie.
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