Saviez-vous que vous pouvez aller en France, à une heure de bateau de la côte terre-neuvienne?
Même si c’est un foutu détour, et que ça me force à backtracker tout le long de la péninsule de Burin pour me rendre à ma finale destination qu’est St-John’s, je voulais absolument, mais ABSOLUMENT aller à St-Pierre-et-Miquelon voir de quoi cet étrange département outre-mer français a l’air. Et là, chus quasiment rendu, alors que je suis accoté sur la rambarde du traversier et que je regarde la côte approcher.

La ville de St-Pierre est quand même d’une certaine envergure, 6000 habitants si j’ai bien compris, et est assez dense. Alors qu’on entre dans le port, on voit des Renault et Citroëns et je sais pas quelles autres sortes de petits chars européens, des drapeaux bleu-blanc-rouge, et une architecture qui fait penser aux villes de bord de mer que j’ai visitées en France. Après m’être fait étamper mon passeport, j’enfourche mon bicycle et je commence à explorer les petites rues, ça prend pas long que je suis rendu en périphérie, puis dans les routes de campagne. En 20 minutes j’ai traversé l’île au complet, je prends une pause au belvédère qui surplombe l’océan puis je redescends la côte vers St-Pierre.
J’arrête pour une ‘tite bière au Rustique, et je pique une jasette avec la barmaid. Elle me dit qu’elle est allée en “métropole” pour ses études mais vient de revenir, et que quand elle était petite, ils avaient juste quelques postes de TV comme Canal Famille, TQS et RDS, et que ça fait pas si longtemps qu’ils ont la télé française. Je remarque aussi qu’outre la Miqu’Ale locale que j’ai commandé, la majorité du frigidaire est rempli de Molson C*nadian, de Labatt Bleue, et de Rickard’s Red. Ces gens sont foutument français, mais ils vivent pas mal en relation avec le Canada voisin, comme on peut s’attendre.

Je laisse mon bicycle stationné là et mon cellulaire à charger, puis je vais prendre une marche qui m’emmène à un autre belvédère et à traîner dans les petites rues tranquilles. Quand je reviens, il y a un peu plus de monde au bar, et j’engage la conversation avec un dénommé Boris. Il dit “Oh la vache!” quand je lui dis que je suis venu jusque là en vélo, et m’invite à crécher chez lui au lieu d’avoir à dormir dans ma tente. C’est à un coin de rue de là, en haut du resto où il travaille. Je vais déposer mes choses et me changer, et je rencontre ses deux colocs Nico et Arthur, qui travaillent aussi au resto. Ils viennent du centre de la France et des Pyrénées et sont ici pour quelques mois, comme pas mal de monde à St-Pierre.
“Fais comme chez vous, nous ce soir on va à un show d’humour, on ira prendre un verre après, tu nous joindras”
Je m’éffouaire sur le sofa de leur appart’ classique de boys tout en désordre et je regarde quelques vidéos sur YouTube, puis je descends les marches et je vais manger au restaurant où ils bossent, tant qu’à être là je vais encourager l’opération et me gâter un peu, depuis le temps que je mange de la bouffe de camping. Je commande des coquilles St-Jacques, le poisson du jour et une coupe de vin blanc, c’est absolument délicieux, comme on est en droit de s’attendre d’un bistro français tout en boiseries comme ça. Je suis bien rempli, mais j’ai le goût d’un dessert pareil, alors je prends un kouign-amann, un nom que j’avais déjà vu avant mais je savais pas c’est quoi à part que c’est breton. Bad move. Il devait y avoir 30 000 calories dans ce motton de pâte gluante, c’est pas mauvais nécessairement mais ça me calisse l’estomac à l’envers.
Faque je vais prendre une marche pour digérer ça. En revenant, je passe devant un autre bar, le Baratin, et un bonhomme m’adresse la parole. J’ai à peu près rien compris, disons qu’il a l’argot et l’accent très pêcheur, mais il me dit de rentrer et prendre un verre. J’obéis. Contrairement au Rustique, qui était pas mal comme n’importe quel bar de grande ville, là on est rendu dans une véritable taverne sombre et presque dénuée de décor, avec une clientèle âgée penchée sur leurs pastis et du vieux country qui joue. Je me prends une Miqu’Ale, et quand j’arrive pour payer, le patron me dit qu’un gars au bout du bar a déjà payé pour moi. Ah bin. Je vais lui serrer la main et jaser un peu. Il dit qu’il est sorti de l’archipel juste une fois, il y a 23 ans (!) et qu’il a absolument aucun intérêt à aller en France métropolitaine. Ce genre de choses me fascine, le plus que je voyage le plus que j’ai le goût d’aller dans les recoins les plus reculés du monde et parler aux gens qui sont là (et qui plus souvent qu’autrement sont jamais vraiment allés ailleurs) et je les envie un peu, moi qui a fait le tour du monde et a des attaches à la fois partout et nulle part.

Je me fais payer une deuxième bière par un autre monsieur, et je refuse poliment une troisième, je suis rendu vraiment plein, putain ce kouign-amann m’a fait l’effet d’une boule de bowling dans l’estomac. Alors je retourne à l’appartement et je relaxe un peu, me disant que je vais bin aller me coucher éventuellement et succomber à mon food coma.
Les boys reviennent, et roulent un joint, ou plutôt un esti de spliff de França qui est pratiquement juste du tabac avec trois molécules de THC égrainées dedans. Ils m’en offrent mais je refuse, j’ai un peu abusé les dernières semaines faute d’avoir rien d’autre à crisser quand je suis en camping entre les journées de vélo, et un T-break de quelques jours va remettre ma tolérance à un meilleur niveau, sans compter que chus pas fan de tabac du tout. Ils disent qu’ils aimeraient mieux fumer du pur, mais que la beuh coûte 30 euros du gramme là alors il faut qu’ils économisent. Shit. Y a des réserves indiennes géographiquement pas si loin d’où ils sont où tu peux avoir quasiment une once pour ce prix. Je me demande pourquoi y a pas un meilleur marché noir avec le weed canadien légal à 50 km de là, mais non. Moi j’ai enterré mon matos au pied d’une pancarte à Grand Bank et je vais le récupérer quand je retournerai par là, je me dis que c’est un peu dommage, j’aimerais bien le partager avec eux, à part le fait que smuggler de la drogue dans un autre pays est hautement illégal et idiot.
Ils disent qu’ils se dirigent vers un autre bar. Je pèse mes options: l’envie de dormir est là, mais YOLO sti, je suis à St-Pierre-et-Miquelon et on est vendredi, quand est-ce ça va arriver de nouveau? En plus ils sont de bonne compagnie. Alors je me garroche de l’eau froide au visage et je les suis.
On va rejoindre une gang de leurs amies, dont une est la serveuse qui m’a emmené mon dîner, une dénommée Julie. Elles sont cinq, et elles sont toutes jolies. Je suis un peu pris au dépourvu, ça fait une semaine que je suis à Terre-Neuve et je sais même pas si ça existe des jolies filles là-bas. Les p’tites Françaises, man. En plus elles sont toutes stylées, avec des manteaux d’automne, des fuck-me boots à talons et des beaux foulards, et les gars sont aussi tip-top, moi je suis un peu nowhere, avec mes joggings de cycliste-campeur et mon coupe-vent en nylon, mais personne me fait pas sentir le bienvenu pour être froqué comme la chienne à Jacques.
Une dizaine de minutes de marche dans les petites rues complètement désertes nous emmènent au troisième bar de St-Pierre, avec le nom un peu bizarre de Xixto. C’est une maison rouge convertie en bar, avec un dance floor où les p’tites Françaises et les matantes s’émoustillent en criant “Ah! C’est ma toune!”, et à mon amusement, la majorité de ce qui joue est du stock classique québécois genre Les étoiles filantes, Tassez-vous de d’là, et surtout Provocante de Marjo, qui joue deux fois pour une raison quelconque mais qui fait virer tout le monde à l’envers, même les filles nées 15 ans après la sortie de cette chanson. Ils font aussi jouer du stock français de plein d’époques, dont Emmenez-moi de Aznavour qui fitte à fond dans ce bar d’île reculée, et quelques tounes de Matmatah, groupe de rock breton que j’adore. Tout le monde s’amuse.

Il doit être deux heures du matin quand on se déplace au Rustique, qui est rempli à craquer et déborde sur l’allée piétonnière. Ça fait changement des bleds morts des Maritimes et surtout de Terre-Neuve où je passe depuis quelques semaines, et il y a de la belle femme au pied carré, comme j’ai rarement vu. Disons que je m’attendais pas à ce que St-Pierre soit aussi animé, et je suis content d’y être venu la fin de semaine. Je jase avec divers gens, certains sont saouls au point d’être incohérents ou fatiguants, et un gars se retourne quand il entend mon beau parler. Il vient de St-Eustache, et dit qu’il rencontre pas souvent des Québécois, disons que c’est pas une destination de voyage bin prisée, ou accessible (700$ l’aller en avion, ou se rendre comme moé dans le fin fond d’un coin perdu de Terre-Neuve prendre le bateau).
Lui, il a suivi sa blonde qui a une job ici, et a trouvé une job dans le port. Et vu qu’il avait joué dans la LHJMQ, il joue aussi au hockey.
“Ah ouin, y a du hockey ici?”
“Ouin, bin, y a juste deux équipes. Et y a de la bataille pas mal, à force de jouer contre les mêmes adversaires y a des conflits qui escaladent, pis les histoires de gars qui ont fourré les blondes des autres pis ce genre de choses-là. Pis aussi, t’as peut-être remarqué, les métros pis les mayous, comme y appellent ceux qui viennent de la France pis ceux d’icitte, y s’aiment pas bin gros. Moi j’étais pas mal batailleur dans le junior-majeur faque ça me dérange pas trop de dropper les gants quand c’est le temps de le faire!”
Je trouve ça hilarant et j’adorerais voir une game. Malheureusement c’est pas encore la saison, en ce début octobre, mais… c’est la finale de leur ligue de soccer, comme j’apprendrai le lendemain, et ce sera le sujet pour la deuxième partie de ce récit.