La Bolivie commençait à me faire chier. Littéralement, avec leur bouffe pas bonne et peu hygiénique qui fait grogner mon estomac et asperger les bols de toilette d’eau brunâtre avec peu de préavis, mais aussi figurativement. Les trajets interminables dans des autobus crissement trop tiers-monde et malodorants, la poussière omniprésente, le fait qu’il fait trop chaud le jour et trop frette la nuit, les bait-and-switch et autres crosses omniprésentes dans leurs lieux touristiques, et aussi ce que, à l’issue de discussions avec d’autres voyageurs, on s’est mis à qualifier de Bolivian glare, cet espèce de regard vide avec la bouche à moitié ouverte qui est présent dans la face de tant d’habitants de ce pays. Je sais pas si c’est l’altitude et le manque d’oxygène à leur cerveau.
Donc ouin, je commençais à en avoir assez. Je m’ennuyais du Brésil, où les choses fonctionnaient, où la bouffe était mangeable, et où les gens prenaient pas trois secondes de trop avant de répondre à quoi que ce soit que tu leur demandes, et j’avais hâte d’arriver au Pérou.
Le pire c’est que La Paz est une ville assez spectaculaire, nichée dans les montagnes, un gigantesque ramassis de buildings asymétriques empilés les uns sur les autres dans une grosse vallée en forme de bol, à plus de 4000 mètres d’altitude. Je passe mes journées à m’y balader, ce qui est pas facile vu que chus toujours à bout de souffle et j’ai toujours mal à la tête, combinaison de l’altitude, la malnutrition, les escaliers à monter et descendre partout, et la pollution assez effroyable. Ce qui est très cool est de s’y promener en téléphérique et admirer la vue, c’est pas une attraction touristique mais bien juste leur transport en commun, alors ça coûte 25 cennes par trajet.
J’ai loué un petit appartement un peu loin du centre-ville, et les chicas que j’ai rencontrées sur LatinAmericanCupid.com ou Tinder refusent de se rendre jusqu’où je suis sous prétexte que je suis dans un quartier dangereux, alors je suis condamné à la masturbation. Moi je trouve pas que mon barrio a l’air si louche que ça, quelques ruelles plus haut sur la côte à pic c’est clairement un bidonville sinistre mais moi je suis juste à côté d’un boulevard assez passant. Même la nuit j’y rôde, buvant des bières à des tavernes, et il y a pas mal juste le dernier 100 mètres pour me rendre chez nous qui fasse un peu peur, étant dans une ruelle complètement sombre.
Donc dans ce contexte de fatigue après 3 mois de voyage et de déception vis-à-vis ce que la Bolivie m’avait offert à date, je me demandais si je devrais pas juste sacrer mon camp vers le Pérou plus tôt que prévu, et skipper la descente de la Route de la Mort en vélo de montagne, qui m’intéressait beaucoup mais dont j’avais entendu des opinions mixtes, certains qualifiant ça de crosse-touristes. Finalement je me suis dit j’irais au moins m’informer.
La première agence, celle recommandée par tout le monde et avec un kickass site internet, semblait correcte, mais j’avais pas assez de cash sur moi pour payer le dépôt et ma carte de crédit passait pas. L’idée de remonter la côte sans fin pour aller chercher plus d’argent était peu ragoûtante, mais en glandant dans le quartier touristique, je tombe sur une autre agence, qui charge les 2/3 du prix. C’est sûr que pour une activité aussi dangereuse potentiellement tu veux pas couper trop de coins, mais ils m’assurent que leurs bicycles sont en très bon état et que les guides respectent les standards de sécurité. C’est bon, je paye mon dépôt et je note où les rencontrer le lendemain.
La journée commence tôt, dans un café un peu huppé (bin, pour la Bolivie, ce qui veut dire que leur plancher est propre) où je fais connaissance avec le reste du groupe: deux Californiennes latinas, une d’origine mexicaine et une d’origine bolivienne, et des gaillards blonds venant d’à peu près chaque pays d’Europe du nord. La plupart sont attablés devant une tasse de café, frottant leurs yeux pleins de dormu et de lendemain de brosse, se racontant leurs péripéties de la veille. Ils semblent de bonne compagnie.
Les deux guides arrivent, deux jeunes dudes nommés Andres et Mateo. Ils ont le regard vif et pas d’embonpoint, ce qui me fait me demander si ils sont Péruviens ou Paraguayens peut-être, mais non, ils sont born and bred Boliviens, deux anciens compétiteurs de vélo de descente, avec les avant-bras musclés et du swag à revendre.
On finit nos breuvages, puis on se rend à un entrepôt rempli de vélos, où ils nous pèsent, nous mesurent, et nous donnent un vélo en conséquence. Déjà, j’apprécie l’attention au détail, et je me ramasse avec une bécane en excellent état, dont les freins sont calibrés pour mon gabarit. Je me fais dire de m’assurer d’utiliser celle-là en tout temps, reconaissable à un petit sticker du drapeau de Antigua et Barbuda sur le guidon.
Tout le monde reçoit son bicycle, son manteau, ses gants et son casque (tu choisis entre un casque normal ou un full-face), et on empile ça sur une remorque, avant de prendre place dans la camionnette. Andres branche son lecteur mp3 avec le câble auxiliaire et crinque des grosses tounes de rock sud-américain pesant, le party est commencé.
On sort de la ville, serpentant sur une route qui arrête pas de monter, on voit même des pics blancs pas très loin. Finalement on arrive au point de départ, à 4700 mètres d’altitude (!!!). On fait quelques tests avec les vélos sur le plat, puis Andres sort une petite bouteille de l’alcool 96% absolument infâme que j’avais déjà bu dans les mines du Potosí. On en prend tous un shot dans le bouchon, gros comme un dé à coudre, mais assez pour t’envoyer une vague de chaleur dans tout le torse et te faire faire une esti de grosse grimace. Puis il fait une espèce de prière, en verse quelques gouttes à terre, quelques gouttes sur son vélo, selon le rituel.
Le premier segment se fait sur une route pavée toute neuve, qui descend avec un gradient assez régulier. Sans donner un seul coup de pédale, on roule un bon 10-15 minutes en convoi, le vent dans face. Tout le monde a un gros cheese quand on arrive en bas, à l’intersection de la route de terre qui va nous mener dans le fond de la vallée.
Tout le marketing autour de la “Route de la Mort” est un peu cringeworthy et une des raisons pourquoi cette attraction touristique de la gringo trail sud-américaine a tant de détracteurs, mais c’est pas tout à fait une exagération. Ça prend pas grand temps pour se rendre compte que le chemin en garnotte est étroit, plein de patches glissantes et de courbes soudaines avec des angles morts, et toujours très proche d’un précipice, avec peu de barrières. Jusqu’à v’là pas si longtemps, c’était la seule route reliant le nord du pays à la capitale, alors des milliers de camions, autobus et chars y ont plongé à leur mort. Le danger est surtout que la route est bin trop étroite pour un véhicule à 4 roues, mais pour un vélo, c’est franchement pas un problème.
Depuis 2006 si j’ai bien compris, il y a une nouvelle route asphaltée, alors le vieux Camino de la Muerte est plus ou moins réservé aux cyclistes, quoique on se fait dire de faire attention et de garder sa gauche si on rencontre un char. On se fait aussi dire, plutôt directement, de pas faire les fucking caves et d’y aller à son rythme.
La descente commence, on avance à la queue-leu-leu, avec un bon espace entre chacun. Le paysage est superbe mais je me dois de garder mes yeux sur la route si je veux pas passer tout drette et revoler en bas, et de temps à autre on arrête pour une petite pause et attendre les plus lents de la gang.
À un moment donné, une chute d’eau tombe au milieu du chemin, et Andres nous dit de passer dedans, et de surtout pas essayer de la contourner, sinon on a de fortes chances de glisser et de tomber 200 mètres plus bas. Supposément que le mois d’avant, un touriste du Danemark a fait l’idiot et est tombé, et ils l’ont jamais retrouvé. Un des gars de notre gang est danois, et je fais une joke comme quoi lui qui est tombé est encore en vie, dans le fond de la vallée, et que de temps en temps on l’entend crier “Gråssånflækenschløtamstrømægen!!!” et autres niaiseries en ma pouiche imitation de comment leur langage bizarre sonne. Tout le monde rit.
Pour dîner, de très pouiches sandwiches secs sont au menu, ensuite on continue la descente. Des fois on dépasse un autre groupe de touristes, il y a quatre compagnies en tout ce jour-là. Un des groupes est sur le bord de la route, avec une fille qui s’est cassé la jambe, et ils attendent une ambulance. Elle va venir d’en bas ou d’en haut?! Dans les deux cas c’est une méchante distance sur un sentier étroit, et même une fois strappée dedans, elle sera pas sortie du bois, comme on dit.
Un autre accident survient à une section où il faut faire particulièrement gaffe: tout le monde attend en ligne, devant un début de côte très à pic où il faut mettre les deux mains sur les freins. Rendu en bas, ça tourne à 90 degrés devant un mur de roche, et ça remonte d’une shot. Le danger est donc soit de s’écrapoutir dans le mur ou de glisser quand ça tourne. On attend notre tour, regardant les gens disparaître un par un dans l’angle mort de la côte, et les voir remonter 30 secondes plus tard. Un des autres groupes a quasiment fini, et quand c’est rendu leur dernier touriste, il dévale la pente, sort de notre champ de vision… et on voit juste un bicycle, qui remonte la côte de l’autre bord, tout seul, sans passager. Leur guide, qui ferme la marche, lâche un sacre en espagnol et se précipite à son secours, le gars en a mangé une tabarnaque.
Rendus en bas, il faut commencer à donner des coups de pédale, vu qu’on est au fond de la vallée, sur le plat. On commence à passer au travers de petits villages, avec des enfants qui nous envoient la main. Et peu après, on arrive à notre destination, une grosse maison où on peut prendre une douche méritée avant de manger un buffet. Tout le monde de notre groupe a le gros sourire dans la face et on est les seuls à pas avoir eu un seul accident. Un gars d’un des autres groupes est assis au bord du patio, seul, l’air dépité, et quand il se retourne on voit que l’autre côté de sa face est transformée en hamburger. Il a l’air du méchant dans Batman.
Des bières et cocktails se boivent, des histoires vulgaires se content, et on profite de la piscine. C’est l’anniversaire d’un des guides boliviens, alors quand le party commence pour de vrai, un gros gâteau apparaît et ils nous payent la traite en alcool, tout le monde devient bien saoul bien vite.
Quand la noirceur tombe, il commence à être temps d’embarquer dans les camionnettes et se mettre en route, on en a pour quatre heures de temps. À l’aller c’était juste une heure, mais évidemment on a fait pas mal de chemin depuis ce temps, et il faut remonter un bon 3000 mètres avant d’arriver en ville. On traîne quelques bouteilles de bière et de rhum, question que le party continue, et ça prend pas grand temps pour que l’Allemand du groupe, dont c’est aussi l’anniversaire ce jour-là, ouvre la fenêtre pour vomir.
Ma journée préférée en Bolivie. Je récupère une journée complète avant de prendre un bus vers Cusco.
(La compagnie était Barracuda, ils me donnent pas une cenne pour ça mais je les recommande. Ma caméra était décédée, alors j’ai volé des photos de leur page Facebook)
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