Je l’avais pas vu venir du tout, celle-là. On venait tout juste d’arriver à Sofia, capitale de la Bulgarie, et en se promenant en ville on est tombés sur un poster collé sur un mur de béton, annonçant un festival de metal. Hmmm, des pas pire gros noms en plus: Accept, Tarja (l’ancienne chanteuse de Nightwish), Voivod, Annihilator, Doro… et holy pits of hell, KREATOR, SODOM pis DESTRUCTION, jouant le même soir?!?! Heille! Si tu te désignes comme métalleux mais que l’idée d’assister à un tel show te donne pas une grosse érection turgide, tu mérites pas d’avoir un pénis.
Ça me laisse une journée pour me rendre à… Kavarna. C’est où ça? C’est-tu une banlieue de Sofia? J’espère c’est pas trop loin…
Bon. Maudit. Kavarna est à l’autre bout du pays complètement, quand même un sale détour. Après quelques mois à voyager en solo, je viens de joindre mes forces avec Nic, un de mes chums du secondaire, et Vanessa, une Chilienne qu’il a rencontré lors de son semestre d’études à Berlin. Notre plan est de traverser les Balkans (Macédoine, Albanie, Monténégro, Croatie, Slovénie), et on a juste 17 jours avant notre vol qui part de Venise. Mais y est pas question que je manque ce show! Les trois légendes du thrash metal allemand, qui rockent les faces des pouels du monde entier depuis les années 80, jouant un après l’autre. Surtout que je reviens de deux ans en Asie, alors les bons shows de metal me manquent en maudit.
Alors on se rend à la station d’autobus, où j’achète un billet pour Kavarna le lendemain matin, et eux deux billets pour Skopje, capitale de la Macédoine, et on se donne rendez-vous là-bas.
On passe la soirée à boire de la bière et regarder un groupe de folk rock bulgare dans un pub avec Volen, notre hôte de CouchSurfing, puis le lendemain on part chacun dans notre direction. Je laisse mes bagages chez Volen, et j’emmène juste un petit sac avec les essentiels : brosse à dents, caméra, une paire de bas, deux galettes grasses au fromage de chèvre, une tomate et une grosse bouteille d’eau. Après huit heures de route, le bus me dépose à la minuscule gare de Kavarna.
J’ai aucune idée où est le festival, alors je demande « Rock fest? » à un vieux monsieur, et il pointe une direction. J’y vais à la course, dans les petites rues désertes, et éventuellement je vois le stade et j’entends du bruit qui en sort. J’arrive aux portes, je paye mon bracelet, et je me précipite à l’intérieur. Je suis à bout de souffle, j’ai faim et soif et je suis tout engourdi d’avoir été assis toute la journée, mais who cares, DESTRUCTION est sur la scène, jouant Life Without Sense, une de leurs meilleures tounes!
Le son est puissant, avec les lignes de basse de Schmier qui résonnent dans tout l’amphithéatre. Il a l’air en pleine forme, ses longs cheveux noirs trempes tombant sur ses épaules musclées et tatouées, un gros contraste comparé aux vieilles photos des années 80, quand lui et ses compagnons étaient des maigrichons avec des afros et des ceintures de balles. J’ai pas dû en manquer long, parce que le trio joue 8-9 badass pièces de pur thrash allemand, incluant les hymnes Mad Butcher, Thrash Till Death, et l’ultime Bestial Invasion. Je suis extrêmement heureux, et c’est juste le début.
Je vais me désaltérer avec une grosse bière, tout fébrile en voyant les techniciens installer la bannière de Sodom, un band dont je suis fan devant l’éternel. La foule chante SODOM! SODOM! SODOM!, les trois gaillards arrivent sur le stage, les bras dans les airs, et sans intro, rien, commencent à jouer The Saw Is The Law. Le set au complet est rien d’autre que des classiques à s’en garrocher partout et s’en péter les vertèbres : Agent Orange, Outbreak Of Evil, Der Wachturm, M-16, Ausgebombt, et leur cover de Motörhead, Iron Fist, entre autres. J’aurais bin pris Nuclear Winter en plus, mais je serais sûrement mort.
L’exécution est sans faute, même si le son est un peu moins puissant que quand Destruction jouait, et aussi Tom Angelripper a vraiment pas l’air dans son assiette. Il a perdu beaucoup de poids, et a juste l’air vieux. On espère tous qu’il a plusieurs belles années encore devant lui.
Donc même si le show était terminé, ça aurait valu la peine de se déplacer à l’autre bout du pays comme ça, mais il reste KREATOR, un groupe qui donne un des meilleurs shows de tout le metal. Je les ai déjà vus deux fois (au Medley, et au Wacken) et j’ai bien hâte de me faire crisser une autre volée. Il fait maintenant noir, et la foule attend, bière en main, l’autre tendue vers le ciel dans un océan de devilhorns, alors que leur intro joue et que les musiciens apparaissent un par un.
Le drummer entame une séquence de toms, et ma bouche ouvre grand, éberlué que je suis.
Non…
…ça se peut pas…
HOLY SHIT ILS COMMENCENT LE SHOW AVEC THE PESTILENCE?!?!?!
Jamais j’aurais cru qu’ils dépoussièreraient cette toune old-school de chez old-school, issue du milieu de leur album Pleasure To Kill, et qu’en plus ils commenceraient le show avec! Plusieurs fans semblent pas familiers avec ce superbe morceau de 7 minutes, ce qui est scandaleux, mais je thrash avec les fans de vieilles date et m’élance dans le gros mosh pit bulgare. Ils enchaînent avec Hordes Of Chaos, la toune titre de leur album le plus récent (note: on parle de 2010 là) qui m’avait pas trop fait tripper, mais évidemment que la foule la reçoit très bien et que leur enthousiasme est contagieux.
Tout comme avec leurs compatriotes, juste une succession de hits est au menu, du récent (Enemy Of God, Violent Revolution) aux oldies (Extreme Aggression, Phobia) et super-oldies (Endless Pain, et le closer habituel Flag Of Hate). Mille Petrozza est heureux d’être là, haranguant la foule comme peu de frontmen le font, et le tout sonne comme une tonne de briques. Un des meilleurs shows à vie, le genre qui donne de la chair de poule.
Les centaines de metalheads quittent le stade, et bien peu restent pour le dernier band de la soirée, des Sud-Africains dont j’ai jamais entendu parler. Ils sont tout jeunes, et jouent un espèce de cossin à la Children Of Bodom qui m’intéresse pas trop, surtout après m’être fait brasser comme ça par le Big Three du thrash allemand, mais je reste pareil. J’ai nulle part où aller, pas de tente, pas de contact en ville, pas d’argent pour une chambre d’hôtel (qui doivent tous être sold out de toute façon), alors je me promène.
Il semble pas y avoir de site de camping organisé, les gens ont empilé leurs tentes un peu n’importe comment sur le terrain vague à côté du stade, et certains dorment dans leur char aussi, j’imagine. Tout le monde est là, à boire, faire des barbecues de camping et écouter du metal qui vient de petits ghetto blasters cheap ou de radios de char, dans une ambiance conviviale. J’achète une bouteille de bière de 2.5 L, en plastique, qui me coûte moins que deux piasses, et je zigzague dans le camping.
Un gros gars chauve m’adresse la parole, et semble tout confus que je comprenne pas la langue bulgare. Il me demande si je viens de la Roumanie, et quand je lui dis que je viens de l’autre bord de l’océan, mon statut exotique fait qu’il m’invite à s’asseoir avec ses chums, qui sont amicaux et parlent tous anglais assez bien, avec des accents qui varient de « J’écoute crissement beaucoup de films américains » à « À quoi ça sert l’anglais sti, à part de lire les instructions quand tu joues à un jeu vidéo ». On reste là plusieurs heures, à boire et jaser de pleins de sujets, que ce soit les voyages, la politique de leur pays qui vient tout juste de joindre l’Union Européenne, et bien sûr le metal. La communication non-verbale est un peu un mindfuck, ces gens font un signe de tête de gauche à droite pour dire « Oui », ce qui mène à des malentendus. Un gars me dit :
« Oh, metal Canada… I know, I know Kataklysm! »
« Great! You like Kataklysm? »
*il fait non de la tête* « Yeah, Kataklysm very great! »
Ma dernière mémoire est celle d’une fille de la gang qui passe une bouteille en plastique toute fripée avec de l’alcool de prunes crissement trop fort dedans, après ça, pus rien. Je me réveille à plat ventre, du sable dans la yeule, avec un mal de tête à vouloir se tailler les veines. En regardant aux alentours, je remarque que 1- le soleil s’est levé depuis peu, et 2- tous mes amis sont partis. Encore saoul, et avec le peu d’énergie dans mon corps, je marche en direction de la mer, et après 500 mètres je décide de juste faire du pouce et j’embarque dans une vieille bagnole qui va dans cette direction. Je remercie le couple âgé d’un благодаря et d’un merci (que les Bulgares utilisent aussi, bizarrement), puis je prends une petite marche de santé sur le bord de la Mer Noire.
On m’avait dit que la plage est plutôt merdique à Kavarna, contrairement aux villes un peu plus au sud, qui ont des stations balnéaires populaires avec les Russes et les Ukrainiens pleins de cash. Je m’en fous un peu, chus là, alors je me mets en boxers et me rafraîchis un peu dans l’eau rocailleuse et pleine de varech, ce qui aténue un peu mon lendemain de brosse. Je considère brièvement nager vers l’horizon, jusqu’en Ukraine ou en Turquie, avant de réaliser que je me ferais tirer dessus par leurs gardes-côte et que je suis tellement épuisé que je me noirais sûrement après même pas 200 mètres.
Retourner à downtown Kavarna, manger un déjeuner graisseux et prendre le premier bus pour Sofia est une bien meilleure option. Je m’octroie le banc d’en arrière à moi seul et je dors tout le trajet, puant comme un sac de vidanges.
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