La fois où j’ai mangé un cactus psychédélique

En arrivant à Cusco, au Pérou, j’avais quelques items sur ma liste de choses à faire:

1- Me balader et admirer l’architecture coloniale espagnole;

2- Pas aller au Machu Picchu;

2.5- Me calisser des gens qui disent que y fô po que je manque le Machu Picchu voyons;

3- Boire une potion de San Pedro, le cactus qui contient de la mescaline.

OIP

Pour ce faire, quelques options s’offrent. Tu peux en acheter une dose au marché et la préparer toi-même, mais on m’a averti que la version déssechée en poudre a un effet beaucoup moins fort, quand c’est pas carrément une arnaque et que le gars te vend un sac de poudre verte faite avec un cactus inactif. Acheter la plante fraîche est difficile à moins d’avoir des contacts, ce que j’ai évidemment pas, en ce premier jour au pays. Alors je me rabats vers une auberge qui organise des sessions de San Pedro en groupe, ce qui est un peu rassurant, on parle d’un psychédélique qui fuck la tête après tout, et c’est pas mal une bonne idée de le faire sous supervision.

Je me rends là en matinée, puis on embarque dans une vieille bagnole rouillée qui nous emmène jusqu’à un chalet dans les montagnes qui surplombent la ville. Une dizaine de touristes sont déjà là, presque tous des Américains, avec du linge de hippies. La plupart sont pas là pour la première fois, et certains même disent venir au Pérou à chaque année que pour ça. Il y a aussi un jeune Asiate qui est à peu près aussi nowhere que moi, je lui fais la conversation puisque les autres semblent être trop dans leur petite clique. J’ai oublié ma crème solaire, il me prête la sienne, et je fais une erreur, j’ai mal lu la foule: le tube de crème solaire est écrit en russe, et je demande “Russian sunscreen uh? Is it the same as normal people sunscreen?”, ce qui fait qu’une des hippies fronce les sourcils. C’est ça un des problèmes avec les hippies, y ont pas le sens de l’humour. Ça, et leur musique est pas catchy, et ils pensent changer le monde mais font juste puer.

On entre dans un pavillon plein d’art psychédélique, genre des éléphants multicolores à sept trompes, des drapeaux de prière tibétains, des licornes et ce genre de choses, puis on s’assoit en cercle sur des coussins. La vieille madame sud-africaine fripée qui run le show nous dit comment ça marche: on doit se présenter, un par un, dresser une liste des choses pour lesquelles on est reconnaissant, et dire ce qui nous motive à consommer ce cactus. Elle dit que c’est pas de la drogue, okay, c’est un médicament naturel, et donc je dois trouver une autre raison que “parce que j’veux être gelé pis regarder les murs fondre en riant” quand c’est mon tour et que je fais mon petit speech. Une des madames hippies est pas capable faire son petit speech, elle fait juste pleurer à gros sanglots, ce qui rend le tout un peu awkward.

Un Péruvien en poncho avec un chapeau plein de pompons sur la tête se pointe, murmure une prière bizarre, et fait un show de boucane avec des écorces dans un petit brasier. Le pavillon se remplit d’une fumée épaisse, et il faut essayer de pas tousser ou de plisser trop les yeux. Puis il nous donne tous un verre, rempli d’un liquide verdâtre peu appétissant, et on le boit tous d’une shot. Ça goûte le calvaire, un peu comme tu imagines si tu allais au Botanix acheter un cactus pour ensuite le mettre dans ton blendeur et boire la bouette produite, tu serais pas trop loin. Certains passent proche de vomir, même parmi les hippies qui sont habitués. On a aussi tous un bonbon au citron pour enlever le goût, moi je garde le mien pour plus tard.

Ensuite on se répartit dans le jardin, il y a des hamacs, des bancs de parc, des matelas à terre, l’endroit est plutôt calme et joli en fait. Je me trouve un coin, me couche sur le matelas, et regarde les nuages. De la musique commence à jouer, des instruments hindous bizarres avec un beat électronique doux. Sinon, le silence est total.

La tête commence à me tourner après une demi-heure, puis ma vision commence à onduler un peu. Environ au même moment, une nausée me pogne, accompagnée d’un mal de ventre, je me lève et ça empire les choses, au point que je me mette à vomir dans la haie de fleurs. Je regarde autour, je pensais que c’était ni vu ni connu, mais la vieille madame a dû entendre mon BLEUARGH parce qu’elle vient me demander si chus correct. Supposément que c’est normal d’être malade la première fois, elle dit que c’est “les toxines” qui sortent de mon corps. Moé je dirais plus que la mescaline est un poison léger (comme le psylocibine des champignons magiques) et que c’est pour ça que mon cerveau se met à dérailler un peu, comme mécanisme de défense, mais je m’astine pas et j’accepte son offre d’un deuxième verre du “médicament”. Au prix que j’ai payé pour ça, autant entrer dans mon argent.

Donc peu à peu je deviens bien gelé, avec des effets visuels étranges et plein de choses qui me passent par la tête, certaines plaisantes, certaines moins. Je pense à mes voyages et aux chicas brésiliennes que j’ai culbutées dans les mois qui viennent de passer, mais je me mets aussi à penser à ma mortalité et celle des gens qui me sont proches, et une énorme tristesse m’envahit. De temps à autre un des hippies passe dans mon champ de vision, marchant comme un zombie. J’ai mon lecteur mp3 dans mes poches mais j’ai pas vraiment envie d’écouter de la musique, juste de me promener dans les méandres de mon cerveau.

J’ai le goût d’aller prendre une marche, la vieille madame me décourage d’y aller seul, parce que c’est “dangereux”. Je lui dis de pas s’inquiéter et j’insiste. En dehors de la cour emmurrée, il y a rien d’autre que la petite route en gravier, et une colline avec quelques personnes en train de la grimper. Je veux dire, ouin, le Pérou a une tonne d’endroits pas safe mais j’ai vraiment de la misère à voir comment quiconque pourrait imaginer que cet endroit particulier pose un danger quelconque, même pour un gringo qui a pris des hallucinogènes. Ils sont fous, ces hippies.

Je grimpe la colline, prenant un plaisir fou à sauter de rocher en rocher, et après quelques minutes à peine je suis au sommet, avec une vue folle sur la ville de Cusco en contrebas et les énormes montagnes à 360 degrés autour. Les couleurs sont dix fois plus pétantes que dans mon état normal.

Un bonhomme est déjà assis là, admirant la vue, et j’ai soudainement le goût de lui jaser. Mon côté extroverti émerge, assoifé d’interaction sociale après ces hippies, ces peintures d’éléphants sataniques et ces bonhommes bruns avec des chapeaux de shamans. On fait la conversation, on se parle de son pays (la République Tchèque), du mien, de nos voyages respectifs, puis on se dit au revoir. Un autre groupe se pointe, des Britanniques et des Américains, et quand je leur dis que je surfe la vague du San Pedro, l’un d’eux part à rire et dit “No way! T’es après dire que dans ce chalet-là, en bas de la côte, y a une gang de hippies en train de tripper? Moé j’dis qu’on y va pis qu’on fait du bruit!” Ce serait assez comique en effet, mais pas très respectueux.

Je descends la côte et retourne au chalet. Le dude qui avait fait le show de boucane pour nous “purifier” est assis là avec un autre Péruvien, et il m’invite à m’asseoir avec eux. Ça a pris quelques secondes pour le reconnaître, il a enlevé son poncho et son chapeau de clown avec plein de pompons dessus, mais j’accepte leur invitation et leur offre d’un breuvage chaud sucré quelconque qu’ils sont en train de boire dans des petites coupes. Ils sont sympathiques et me font la conversation, je réponds aux questions habituelles auxquelles chus habitué de me faire poser en temps que voyageur, et ils se disent surpris que je sois même capable de parler espagnol. Mon espagnol est en fait plutôt à chier, mais à des kilomètres en avant de celui du hippie moyen qui se pointe là, je me souviens tout à coup de notre transport jusque là le matin, comment les hippies dans le char avec moi faisaient juste parler en anglais, mais plus fort et plus lentement, au chauffeur qui comprenait pas une miette et qu’il fallait que je traduise pour eux. Mon cerveau tout buzzé est soudainement pris d’une épiphanie, au sujet de “la connection profonde avec le peuple péruvien et leur culture ancestrale” qu’ils disent avoir. Comment peuvent-ils dire de telles balivernes, si y sont même pas capable de communiquer du tout et font aucun effort en la matière, même après plusieurs visites au pays?!

Je jette un coup d’oeil aux alentours, et mon attention est attirée par une pancarte près de la grosse porte en métal qui nous sépare du vrai monde. Ça dit “Please close the gate so that my dogs don’t go out. My dogs are healers, they’re not fighters, and they would get attacked my the neighbors’ rabid dogs”. Puis, en espagnol, “Cerra la puerta”. Parce que les jardiniers péruviens payés 3 piasses par jour ont pas besoin de se faire dire de telles niaiseries, juste un message direct suffit.

Faque ouin, une expérience de San Pedro est supposée “ouvrir ton esprit”, te mettre face-à-face avec toute l’énergie négative qui pollue ton psyché, puis te donner une nouvelle perspective sur le monde, mais au lieu ça me rend encore plus cynique. Au point que je me demande si les deux bonhommes assis avec moi croient même à ce genre de rituel ou sont juste morts de rire en voyant ces Américains qui prennent les deux semaines de vacances de leur job de cubicule pour venir “entrer en contact avec les déités incas anciennes” qui veulent rien dire pour le Péruvien moyen. Et je me dis que c’est quand même une pas pire business que la madame sud-africaine a mis en place, douze touristes qui ont payé l’équivalent de 85 piasses US, c’est 1000$ clair dans leurs poches pour juste une journée, avec très peu d’overhead, juste un morceau de cactus qui pousse dans leur jardin, et payer un gars du coin pour qu’il s’habille en shaman. Je me demande si je pourrais établir un tel racket au Québec, mettre des touristes en contact avec des autochtones qui font des séances spirituelles dans des tipis et prendre une cut, heille, avec mon expérience en Chine je pourrais viser les touristes chinois, exploiter leur propres superstitions bouddhistes et taoistes, et aussi parler de la connection ethnique ancestrale entre les Amérinidiens et les Asiates. Hmmm c’est un pas pire plan.

Donc c’est plutôt clair que je suis pas spirituel une miette, et que l’effet désinhibitant de cette drogue, à la in vino veritas, me convainc encore plus de ce fait. Ça et aussi avoir interagi avec pas mal de “touristes spirituels” en Inde et au Népal et ce genre de places, même si je les cherchais pas particulièrement. Certains étaient plutôt inoffensifs, mais un nombre suprenemment grand étaient désagréables, hautains, superficiels, vains, et convaincus que s’asseoir avec des bonhommes tout nus avec des gros dreadlocks sales qui fument du hash dans un temple hindou fait d’eux des meilleurs personnes. Fuck that.

Ils organisent une sortie de la cour en groupe (parce que tsé, on est au Pérou, et dehors c’est dangereux), et je me joins à eux. Une des hippies est nu-pieds, pour “être en contact avec la Terre” bien sûr, et elle fait des petits pas avec une expression de douleur sur sa face, le gravier de la route faisant souffrir ses petits pieds pédicurés aux ongles d’orteils peinturés, alors on avance lentement. Je suis encore tout buzzé, et le paysage est absolument magnifique, j’ai plus ou moins fait le tour du monde et le panorama andin est difficile à battre. Cette fois on se dirige dans une autre direction que la colline que j’ai grimpée auparavant, et on arrive dans une vallée remplie de fleurs multicolores encore plus éclatantes dans mon état.

Le “guide” qui nous accompagne (pour pas qu’on se perde ou qu’on se fasse attaquer par les petits gars qui jouent au soccer en contre-bas dans la vallée, tsé, ils sont bruns après tout donc ils sont dangereux), un sud-africain avec un chapeau de cowboy, nous montre un rocher avec une bizarre forme de fauteuil, et nous dit que les Incas s’assoyaient dessus comme sur un trône. J’ai de la misère à voir comment il peut bien avancer une hypothèse pareille à moins que ce soit une joke, après tout le rocher est au milieu de nulle part et pas taillé, en tout cas j’y prends place, les bras sur les accoudoirs en roche, et une des hippies émet un reniflement dédaigneux et me dit de “show some respect”. Comme si je venais de désécrer une relique religieuse importante plutôt que juste un morceau de roche qui a été érodé par hasard en la forme d’un La-Z-Boy. Une autre hippie met la main dessus, l’autre main sur son front, et dit qu’elle “feel the spiritual presence”. La même qui a quasi-engueulé le chauffeur de taxi quelques heures avant parce qu’il comprenait pas l’anglais.

Ces gens commencent à me taper royalement sur les nerfs, alors j’attends pas le transport qui nous ramène en ville, j’ignore les protestations de la madame sud-africaine qui me dit que je vais me faire stabber c’est sûr, et je commence à descendre vers Cusco. J’ai la sensation vide dans mon estomac qui accompagne la descente d’une expérience psychédélique, et la vision encore un peu “ondulée”, mais le moral est haut. Juste avant d’arriver dans les slums en périphérie de la ville, je traverse un tas de ruines, qui s’avèrent impressionantes. C’est sûr que c’est à une bin plus petite échelle que le Machu Fucking Picchu, mais l’accès y est gratuit et y a absolument aucun des désagréments inhérents à ce site survisité, désagréments dont j’ai entendu parler par assez de sources primaires et secondaires et qui m’ont fait décider de complètement omettre cet endroit de mon itinéraire. Au moins j’aurai vu des ruines ici.

Le soleil commence à descendre alors que je passe les premiers buildings de la banlieue de Cusco, et je presse le pas. Peut-être que les avertissements de la vieille madame étaient pas en vain finalement, c’est un barrio plutôt pauvre dont il s’agit, avec bâtiments délabrés, piles de déchets (dieu que j’haïs les fucking sacs en plastique) et bonhommes patibulaires qui regardent passer le gringo d’un oeil louche et peu accueillant. Le vrai monde, celui que ces hippies évitent, avec un peu raison disons-le dans ce cas-là.

Tout le long, j’ai une vue assez magnifique de Cusco en contrebas, mais j’ai pas trop le temps de la savourer, et bien que la direction générale soit évidente, les rues et ruelles de ce barrio forment un labyrinthe, et j’ai pas le goût de me ramasser dans un cul-de-sac. Je demande à un jeune homme la direction, et il me pointe le chemin, avant de me demander si je veux acheter du weed. Je décline poliment, mais il m’invite à m’asseoir avec ses chums, au coin de la rue, et je me dis ¿porqué no?

Sept ou huit gars du coin me serrent la main et l’un d’eux me donne une tasse en plastique avec l’espèce de jus de maïs fermenté que ces gens aiment. On discute un peu, puis d’autres gars se joignent au cercle, avec des guitares et une flûte de pan, et commencent à jouer et chanter. Je suis tombé sur un petit party, ma foi. Un joint commence à circuler, et quand on me le tend, je prends une petite puff. Andrés, le gars qui m’a introduit à ce groupe, rit et dit à ses comparses “Ah ouin hin, il veut fumer, mais il veut pas en acheter?” Mon cerveau est pris d’une mini-panique, après tout je suis ici, un peu gelé, vulnérable, seul, dans un quartier défavorisé, à la tombée de la nuit. Je veux pas me ramasser comme Ethan Hawke dans Training Day quand il se rend compte que Denzell vient de le crisser là.

Mais Andrés insiste pas, et semble pas fâché du fait que j’aie initialement refusé son offre. Je leur confesse être sur des vapeurs de San Pedro, ils me donnent des thumbs up, et me disent que certains d’entre eux vont dans la forêt se taper une séance la fin de semaine qui vient, si je me veux me joindre à eux. Je me mords le doigts, et me dis que ça aurait été bin plus le fun et représentatif de l’expérience péruvienne de le faire avec cette gang de joyeux lurons qu’avec les hippies anglophones, mais de toute façon je serai parti d’ici là. Je raconte comment c’était bien en tout et pour tout, en incluant les détails de comment c’était un peu surcommercialisé et que j’aurais pu me passer de toute l’hypocrisie hippie à la noix qui a entouré l’expérience. Andrés me dit “Mais tu as aimé? C’est ça qui est important” et ça me fait réaliser que peut-être que ouin, je devrais être un peu moins cynique des fois. C’était une belle journée et j’en suis reconnaissant.

Et c’est pas encore fini! J’ai le goût de rester un peu plus avec cette belle gang, mais la noirceur approchant et mon estomac affamé me font décider de pas abuser de leur hospitalité. Un jeune dude aux cheveux longs m’offre un joint non-entamé “pour la route”, je suis tenté mais ma paranoia me dit que la policia check peut-être les jeunes touristes qui arrivent de ce quartier. Andrés m’accompagne jusqu’à l’escalier étroit qui descend à Cusco, parce qu’il y a des chiens agressifs en chemin. Je lui serre la main et entame ma descente, plutôt soulagé quand j’arrive dans les confins confortables et familiers de la zone touristique, avec tous ces vieillards en bas blancs et sandales et Coréens qui ont l’air perdu en permanence.

cathedral

Je mange un gros repas, puis la première chose que je fais en arrivant à l’auberge est d’embarquer sur un des postes internet pour écrire un e-mail à mon cousin qui m’a recommandé cette expérience. Un peu semblable à ce texte-ci, mais en plus décousu et spontané. Ça me prend au moins une heure, puis après une douche je me dirige vers le bar. Ça dure longtemps en mautadine ce cactus-là, je suis rendu plus ou moins sobre mais de temps à autre je regarde fixement une lumière en me disant “Woah, elle devrait pas être si brillante, cette couleur” ou alors quand une surface irrégulière, genre le bois de la table, se met à danser. Je me sens très social, et je me fais des “amis à usage unique” très vite. Pis la petite Péruvienne de Lima à qui j’ai jasé hier me fait des yeux, de l’autre bout du bar… All right, San Pedro, show me what you got.

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