Extrait de mon journal, mai 2010
En ce vendredi soir, je me dirige vers le vieil aéroport ou un concert est supposé avoir lieu, annoncé par des grosses pancartes partout en ville depuis un petit bout. Les Thaïs adorent la musique live, moi aussi, et ainsi je peux tout le temps assister à plein de shows dans des bars ou en plein air, même dans ce petit Chiang Rai bien tranquille. Ce soir-là, il y a Bee Peerapat, Big Ass et Bodyslam, les deux derniers étant deux des plus gros groupes rock du pays, dans le cadre d’un show gratuit. Le tout est commandité par la marque de whisky Blend, et c’est ainsi qu’en plus de l’espèce de tattoo non permanent Blend, je me fais donner un t-shirt Blend (que je porte à l’instant), une casquette Blend, du whisky Blend, pour aucune autre raison que parce que je suis le seul blanchâtre de la place. Il y a pas de bière en vente sur les lieux, juste du whisky Blend (l’auriez-vous deviné?) servi à la chaudière.
Le concert est très amusant, et que ce soit au niveau de l’organisation, de la production ou de la musique même, tout est professionnel et roule impeccablement. Bon, c’est sûr qu’aucun des trois bands ne joue du gros death metal qui salit, mais ils rockent tous bien quand même. Certains passages sont clairement destinés à faire crier les petites étudiantes d’université, mais il y a aussi plusieurs riffs bien pesants. Je suis satisfait.
Le lendemain, je me lève relativement tôt et je me dirige vers la station centrale, accompagné de mon fidèle vélo que je strap sur le toit de l’autobus direction Chiang Saen. Un couple de couchsurfers supposés crasher chez moi en ce beau week-end ont annulé à la dernière seconde vu que l’évènement d’ “elephant polo” auquel ils voulaient assister a lieu à C-Saen et non C-Rai comme ils croyaient auparavant. Elephant polo, hein? Intrigué, pis vu que j’ai rien à faire ce week-end anyway, je décide de me joindre à eux.
Je pogne une petite chambre dans une auberge près de la rivière Mekong, avant que Jenna et Stuart ne me rejoignent. Jenna a travaillé en Gambie avec le Peace Corps et a visité les pays voisins, dont le Sénégal, et me conte plein d’histoires sur son séjour en Afrique. On mange un esti de gros dîner, puis on pédale jusqu’au resort pour riches touristes où le tournoi a lieu.
Du elephant polo, en gros, c’est comme du soccer, sauf qu’au lieu de courir, tu te promènes à dos d’éléphant, au lieu de kicker la balle, tu la frappes avec un long bâton qui ressemble à un marteau en bois, et au lieu de trébucher et de pleurer, tu joues sans interruption. Il y a deux grands poteaux de chaque bord du terrain, démarquant les buts, une grosse zone en demie-lune ou juste un membre de chaque équipe peut être à la fois (sinon c’est hors-jeu, et l’arbitre, un petit monsieur avec un chapeau de paille, siffle et call une mise au jeu) et le tout se joue 3 contre 3.
Première surprise : contrairement au polo à cheval que j’avais vu à la TV avant, lui qui conduit l’éléphant est pas le même que lui qui frappe la balle, ils sont deux sur chaque (le plus souvent, un Thaï qui conduit et un Blanchâtre avec le long marteau). Deuxièmement, bin la balle est minuscule, je pensais que ce serait un gros ballon, mais elle est grosse comme une balle de baseball et il faut donc du skillz pour la frapper à tous coups. Et troisièmement, bien que ce soit pas trop une surprise, le tout est très aristocrate et British. Tout le monde est là, avec leur polo de marque, leurs jeans blancs avec des bottes aux genoux, les cheveux gominés vers l’arrière et bien bronzés, en train de siroter leur champagne Veuve Cliquot. Jenna, Stuart et moi on sort du lot, pas à cause de la couleur de notre peau, pour faire changement, mais bien à cause de notre accablante pauvreté. On feuillette une revue consacrée au polo (ça existe, et c’est pas surprenant qu’elle soit basée dans la ville la plus chère au monde, l’immonde Hong Kong), et il y a presque juste des pubs de montres suisses et d’hôtels 5 étoiles, en plus de quelques articles qui ont tous les mêmes noms dedans et nous font se rendre compte que le monde du Elephant Polo est bien petit. On devrait se sentir choyés d’être en présence d’éminences mondiales du Elephant Polo tels que Sangjay Choegyul et Peter Prentice. Je me demande si ils sont sur Facebook.
En ce dimanche non-ensoleillé (le soleil se pointe rarement la face ces derniers temps, et quand il le fait, c’est au travers d’une grosse brume laide et rougeâtre), je décide de me taper les 70 km qui me séparent de Chiang Rai à vélo. J’ai déjà fait le chemin inverse un mois auparavant, alors tout devrait bien aller, et l’exercice me fera du bien. J’évite les grandes routes et ratisse les chemins de campagne, longeant les champs brûlés et des maudites belles collines. À un moment donné, je quitte la route pour faire un peu de terrain rough, et quand je reviens sur l’asphalte, je me rends compte qu’un de mes câbles est pété et que je peux donc pas changer de vitesses. Je suis pogné sur la petite, ce qui fait que je peux pas avancer super vite, mais bon, shit happens. J’en ris et je continue. Quelques km plus tard, par contre, c’est pus une joke, je pogne un gros flat et je peux donc vraiment plus continuer.
Alors je m’assis sur le bord de la route, et j’attends, le pouce en l’air.
Il y a pas grand traffic, mais ça prend pas grand temps pour qu’un gentil bonhomme me ramasse en pick-up et m’amène à la prochaine intersection, ou je peux pogner un lift jusqu’en périphérie de la ville, puis un taxi. Des choses qui arrivent… j’étais pas trop pressé heureusement. Je rejoins mon couchsurfer Adam, puis on va se taper un gros festin carnivore au buffet à 69 baht, viande crue à volonté que tu cuis toé-même. Il est resté chez moi trois jours d’ailleurs, et ce matin, on s’est convaincus mutuellement, par virilité et orgueil excessif, de se lever à 5h30 et de se taper un petit 10 km à course, malgré le torrent de whisky et de bière qu’on avait bus la veille. Le genre de choses qui te font sentir en vie, quoi.
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