Bon, d’habitude je parle de voyage ici, mais là chus pas sorti de la ville, et peu sorti de chez moi, durant les six dernières semaines. Pas mal de gens me demandent si je vais bien, et la réponse est… oui. Très bien, même. Mieux que ce à quoi je m’attendais, et probablement mieux que si j’étais resté au Québec en février, au lieu de prendre ce pari et revenir en Chine, malgré les complications qui sont venues avec. Aussi ironique que ça puisse sonner.
Je l’avais pas vu venir du tout: dans ma tête, quand j’embarquais dans l’avion avec tous ces Asiates masqués et les hôtesses de l’air qui répandaient du poush-poush antiseptique sur toutes les surfaces, je me disais que deux choses pouvaient arriver: soit ça se calmerait bin vite et que bientôt ce COVID-19 entrerait dans les annales de l’histoire aux côtés de tous les autres virus oubliés qui ont eu leur 15 minutes de temps d’antenne et leur élan de panique (SRAS, H1N1, grippe aviaire, Zika, ebola, vache folle, pis ouin chus conscient que j’en répète sûrement), soit la situation était pour empirer, et que être en Chine ou à l’extérieur changerait pas grand chose au fond, vu qu’il y avait déjà des cas de répertoriés en dehors.
Évidemment que j’espérais l’option numéro un, et je me disais que si ce virus est pour éradiquer une grosse portion de la race humaine, mon destin est entre les mains de mon Seigneur, Satan Prince des Ténèbres. Mais ce à quoi j’avais pas pensé est la possibilité que en même temps que ça se calme en Chine, ça pète à l’extérieur. Parce que oui, la vie revient lentement à la normale ici: les restaurants et bars sont rouverts, et les rues sont pleines de gens, juste que 90% d’entre eux portent des masques. Mon gym de jiu-jitsu, fermé de janvier jusqu’à la mi-mars, a rouvert ses portes aussi, à ma grande joie, quoique au début il y avait un règlement bizarre comme quoi juste deux personnes pouvaient être sur les lieux. Les écoles et les bureaux vont rouvrir aussi bientôt, en vagues. J’attends des updates, quoique je suis plutôt satisfait de mon horaire et mes 7 heures de travail par semaine, sans avoir à me rendre au bureau, avec la full paye.
Il y a encore des mesures en place, surtout pour entrer et sortir de la ville. Et partout en Chine, les consignes de quarantaine pour les visiteurs ou les gens qui retournent de l’étranger sont plus sévères, le monde doit rester dans un hôtel spécial et se faire tester, au lieu de rester à la maison et de noter ses symptômes soi-même (comme j’ai eu à faire pour 14 jours). Faque mes chums qui, en février, voulaient “attendre que ça se calme” se sont fait un peu avoir, et sont pognés dans une chambre d’hôtel pouiche, à leurs frais, quand ils se sont pas fait carrément prendre chez eux et peuvent pas en sortir, comme mes chums italiens.
[UPDATE: Bon, sti, c’est ça qui arrive quand t’es paresseux et que tu prends plusieurs jours pour écrire juste un de ces textes… je viens d’apprendre que les frontières ferment le 28 mars à minuit, faque ouin, une couche de précautions supplémentaire pour être sûr que le virus revienne pas]
En général, je sais pas trop quoi dire qui a pas déjà été dit 100 000 fois. Je regarde la situation se développer, de loin, et je suis pas très optimiste disons. Le genre de mesures que la Chine a mis en place dès janvier vont jamais se faire appliquer au Québec ou aux USA, à moins qu’il soit déjà trop tard et que le virus soit déjà rendu en Antarctique. Le mélange d’un état qui pense pas deux fois avant d’appliquer des règlements draconiens et d’une population qui, culturellement, va suivre ces règlements est pas toujours un aspect positif de la Chine mais dans une situation de crise, j’aime mieux ça qu’un free-for-all total avec un gouvernement de poignets mous qui se demande “ouin mais si jamais on ferme nos frontières, qu’en est-il du demi-million d’immigrants annuel qu’on a promis?” et des Sylvains et des Manons qui vont ignorer les consignes et faire ce qu’ils veulent parce que “J’AI L’DOUA!” pis “C’est juste le rhume bro”.
Plusieurs commentateurs politiques alignés droitistes ou libertariens spéculent que les gouvernements en place vont utiliser cette pandémie comme excuse pour s’ingérer dans les vies des citoyens et réduire leurs droits individuels. Ils ont vus un ou deux vidéos sur Twitter, avec la police à Wuhan qui force des gens à aller se faire tester, ou qui arrête du monde qui respectent pas le couvre-feu, et avec leurs petits cerveaux de rednecks, paranoïent et pensent que ça s’en vient au Québec. Je dis pas qu’ils ont tort de poser la question, vu que c’est un débat pertinent, qui anime les philosophes et théoréticiens politiques depuis plusieurs siècles déjà, la balance entre droits individuels et le bien collectif.

Tout le monde est d’accord qu’on devrait pas avoir la liberté individuelle de frapper des vieilles madames dans la rue à coup de hache ou de conduire son char sur le trottoir, et que (dans les démocraties libérales occidentales à tout de moins) on devrait avoir la liberté de faire quoi que ce soit qui enfreint pas la loi et pile pas sur la liberté d’autrui. OK, mais où est-ce que la liberté de se déplacer en public et potentiellement infecter les autres péquenots se positionne là-dedans? Messemble que les autres membres de ta communauté devraient aussi bénéficier de la “liberté” de pas vivre dans un environnement plein d’estis de morons qui respectent pas les consignes de confinement et de distanciation sociale ou même de fucking hygiène élémentaire, et mettent les autres dans un niveau de danger plus haut qu’il devrait l’être. Peut-être que c’est parce que j’habite en Chine depuis tellement longtemps que je suis un peu plus habitué de me poser ces questions éthiques au sujet de si ça se justifie de casser quelques oeufs pour faire une omelette.
Et de là, mon prochain point, semi-relié à ce que je viens de dire. Puisque, implicitement ou explicitement, je trouve que la Chine a fait une bonne job pour ce qui est de réduire la propagation du virus, supposément que c’est suffisant pour me faire traiter de wumao ou de vendu ou d’agent de propagande communiste. Hahaha moé, un shill communiste?! Vous avez pas lu le reste de mes écrits sti. Cette pandémie est évidemment très politique, et des taouins de tous les bords de l’échiquier s’en servent pour pousser leur agenda et attaquer leurs adversaires, après tout, la game politique se joue 365/24/7, et c’est certainement pas un évènement qui est sur toutes les premières pages qui va arrêter ça, loin de là en fait.
Surtout que, évidemment, au centre de cette histoire est le Pays Jaune, le Bonhomme-Sept-Heures, le boogeyman, le Grand Méchant Loup. Je pense qu’après toutes ces années à vivre ici parmi nos amis les Chinois j’ai développé une certaine perspective par rapport à ce sujet épineux et complexe, tel que démontré par deux astinages simultanés sur Facebook il y a quelques jours… D’un côté, je débatais un chum afflicté de TDS (Trump Derangement Syndrome) aigu comme quoi dire “le virus chinois” est pas nécessairement faux, vu que la pandémie est originaire de Chine, plus que probablement causée par un manque d’hygiène publique et un goût pour les animaux bizarres que les humains normaux ont appris il y a plusieurs millénaires que c’est pas trop une bonne idée de les manger (vous avez lu la Bible?) et exacerbée par la négligence et/ou les intentions malicieuses et/ou le népotisme malsain qui accompagne une hiérarchie si rigide et une culture si peu prompte à admettre les erreurs. En même temps, je m’astinais avec un autre pote, marié à une Taiwainaise et pas du tout un fan des communistes, comme quoi c’est peut-être pas trop le temps d’ouvertement blâmer le gouvernement chinois, en ces temps-ci où on devrait plutôt prôner la collaboration. Quand ta maison est en feu, tu fais pas une enquête pour savoir si c’est un feu électrique ou de gaz, tu éteins le feu tabarnak.
Et ça c’est ce qui se passe dans l’Occident. En Chine, évidemment qu’ils ont twisté leurs bobettes dans leurs craques et fait une crise comme un gros bébé-lala dès que Trump a fait ce commentaire de virus chinois, tout en poussant une théorie de conspiration que même Alex Jones et les autres chapeaux de papier d’aluminium trouveraient conne, comme quoi le virus a été emmené à Wuhan en décembre par l’armée américaine. Ils se préoccupent de racisme juste quand c’est eux qui se font pointer du doigt.
Supposément qu’un certain sentiment raciste existe dans plusieurs villes du pays, et j’ai entendu quelques rapports directs ou indirects d’étrangers qui se font regarder croche, insulter, ou carrément refuser accès à certains endroits, astheur que le virus est supposément sous contrôle ici et que donc le danger vient de l’extérieur. Perso j’ai survécu les autres “montées de la xénophobie” qui ont terrorisé plus d’un laowai dans le passé, que ce soit en 2012 avec le conflit territorial avec le Japon, en 2015 avec les Philippines, ou l’an passé avec la CFO de Huawei qui s’est fait arrêter à Vancouver, alors je hausse les épaules, et le Chinois moyen me traite toujours soit avec indifférence, légère curiosité ou bénévolence. Qui sait, peut-être que les chapeaux de papier d’aluminium ont raison, et que le Parti Communiste fait juste prétendre que la situation est stable, avant d’annoncer une deuxième vague dix fois plus mortelle et blâmer ça sur les sales barbares aux longs nez. Une véritable partie d’échecs en 4D.
Plusieurs disputent le nombre de cas avancé par les autorités chinoises, ce qui est un peu naturel, vu que tsé c’est pas un gouvernement très transparent en général. Et on me demande des fois si moi je crois à ces nombres. À ça je réponds que pour ma ville et ma province en tout cas, j’ai pas vraiment de raison de pas le croire, vu que comme j’ai dit ci-haut les choses reviennent à la normale lentement mais sûrement, et que c’est pas comme si les autorités en place verraient un problème quelconque à juste forcer tout le monde à rester chez eux. Aussi, peut-être que croire tout ce que les médias disent est naïf, mais rejeter 100% de ce qu’ils disent est tout aussi crétin. Des fois, faut juste continuer à vivre sa vie.

Donc ouin, pour conclure, à vous tous qui sont pognés chez eux et regardent la situation à la TV, relaxez, il se pourrait très bien que tout revienne à la normale éventuellement, comme où je suis. Sans compter les retombées positives possibles, une baisse de la pollution, un questionnement au sujet de comment adéquats sont nos services d’urgence et de santé, la promotion du télétravail comme de quoi de faisable. Mais pour ça, faut que vous respectiez les consignes de confinement, même si ça va à l’encontre de vos principes libertariens.
Ou peut-être que c’est juste le début, et que les historiens du futur vont regarder ça comme le début d’une série d’évènements marquant le 21e siècle?! Après tout, hey, la succession pandémie-crise économique-guerre mondiale est survenue il y a à peine 100 ans, avec en bonus comme background le changement de garde entre une superpuissance et une autre. La différence est que ça pourrait se faire pas mal plus vite, avec la technologie moderne, l’économie globaliste et la vitesse à laquelle les humains et germes voyagent de nos jours.
Dans tous les cas, il y a rien d’autre à faire que d’apprécier le moment présent et essayer autant que possible d’”aplatir la courbe”. Moi perso ça me fait poser des questions au sujet de ma vie de vagabond et d’expatrié, messemble que la vie d’hermite dans une ferme isolée est tentante ces temps-ci.
Leave a Reply