La route Tibet-Sichuan est longue, longue, longue…
Trouver un moyen de passer la frontière pas si imaginaire que ça entre le Qinghai et le Sichuan, deux provinces dans l’ouest creux de la Chine, quand on parle pas un mot de tibétain à part “Tashi dele” (qui signifie soit Salut ou alors Hey donne-moi de l’argent) est moins facile que je pensais. J’étais héberlué que y ait aucun bus en cette direction qui parte de la petite station centrale où j’étais arrivé deux jours avant, mais un bon Samari(tibé)tain me dit que l’hôtel le plus gros de la ville peut m’aider. En m’y rendant, je brise leur ascenseur sans faire exprès, et rendu dans le lobby à essayer d’expliquer ce que je veux aux employés, tous en break et à jouer au concours de celui/celle qui m’écoute le moins, j’entends des voix qui proviennent du corridor où l’ascenseur est situé et qui expriment de la colère sombre. Baon…
De retour dans la rue après 7 étages descendus en trombe par l’escalier de secours, chus pas bin plus avancé. Je demande à un passant, il m’indique une direction, je m’y rends et c’est… le même hôtel ou j’ai dormi. C’est quoi la joke? Il y a en effet un vieux crisse d’autobus stationné avec la ville de Ganzi écrit comme destination, mais on m’informe qu’il partira juste le lendemain matin.
Je fulmine, et surtout je comprends pas. La province de Sichuan est tout juste à côté. Je commence à envisager de faire du pouce et essayer de pogner un lift des gros camions de terre avec des plaques du Sichuan, quand tout à coup quelqu’un me dit “Hey, cette vanne va à Ganzi. Veux-tu embarquer?” J’accepte. Trois fucking heures plus tard, la vanne est toujours pas partie. J’assiste au changement de pneu le plus lent de l’histoire de l’humanité. Monopole = service de marde, c’est bien connu. Je m’assis sur une slab de ciment destinée à la construction de je sais pas quoi dans ce terrain vague, et j’attends, avec les autres passagers: des Tibétains avec des grosses robes en laine, malgré la chaleur estivale (et donc, émettant une piquante odeur de swing que j’ai pas hâte d’être enfermé dans une vanne avec) et une Chinoise antipathique qui arrête pas de faire “Tsssk!!!” bruyamment avec sa langue quand elle arrive pas à se connecter sur le réseau avec son cell, ce qui est tout le temps, dans cette région montagneuse et éloignée.
Bon, commence à être temps. La vanne (en fait, trois vannes en convoi) se met en route. Une fois hors de Yushu, il n’y a rien d’autre en vue que des montagnes et un occasionnel petit campement de bergers. La route est loin d’être droite, dans ce terrain super accidenté, mais le chauffeur conduit quand même comme, disons-le, un esti de mongol. Le fait que je sois en un morceau, en train d’écrire cette histoire démontre quand même son efficacité et sa volonté de couvrir la distance (que je savais pas encore) très longue à venir.
Le paysage est magnifique: un ciel bleu sans un nuage, des collines verdoyantes à pic de temps en temps ponctuées de yaks qui broutent et plus rarement, d’une tente modulaire avec une cheminée ou un petit village avec des maisons blanches carrées. Dur à croire que je suis dans le même pays que toutes ces villes polluées et frénétiques.
La camionnette avance vers l’horizon lointain et le temps passe lentement. Bon, à un moment donné, j’ai pris le volant et ça a passé un peu plus vite à conduire qu’à rien faire sur le siège du fond. Lors d’une pause-pipi, je me suis assis dans le siège du chauffeur pour niaiser, et celui-ci a juste dit “Okaaaay!” avant de s’éffouairer à ma place précédente. J’ai pas de permis, mais j’imagine qu’y aura pas de police sur ces routes lointaines. Alors j’embraye et je me mets à suivre la vanne en avant de moi.
J’ai bien aimé l’expérience de conduite (je pensais avoir oublié comment conduire manuel, après tout ce temps, mais non) et j’ai assisté aux premières loges à un crash entre deux SUV de Chinois morons qui auraient dû savoir que c’est pas une bonne idée de tenter un dépassement à 80 km/h sur une route en gravelle tibétaine aux parois à pic, le tout dans une courbe descendante avec un angle mort gigantesque. L’un d’eux a planté dans le fossé, l’autre a déboulé la côte et fait je sais pas combien de tonneaux, mais il semble pas y avoir de blessés graves, un miracle.
Je reprends place en arrière, et constate que le chauffeur a mangé mes graines de tournesol, l’esti, et craché les écailles un peu partout. Un des passagers tibétains ouvre son thermos de lait de yak ranci, leur boisson préférée, et immédiatement une odeur épouvantable envahit l’espace exigu du véhicule, s’ajoutant au swing sus-mentionné. Ça va être long.
La vanne continue, continue. Cette fois, on amorce la montée vers les montagnes de l’ouest du Sichuan, qui sont énormes et certaines, même, saupoudrées de neige éternelle. La route est cabossée comme ça se peut pas et m’envoie voler au plafond à de nombreuses reprises.
Les Tibétains et moi, on trouve ça plutôt drôle, quoique un peu fatiguant, mais la Chinoise est pas de cet avis. J’ai pas trop compris ce qu’elle crissait là en fait… elle vient du nord-est (ce qui est apocalyptiquement loin d’où on est présentement), porte un petit suit tailleur avec des souliers délicats, a les cheveux teints en châtain, beaucoup de maquillage, des bijoux et des bagages fifs à roulette. À moins que j’aie mal compris, elle se dirige vers Lhasa, capitale du Tibet, à des centaines et des centaines de km de là. Elle a vraiment vraiment pas choisi la route la plus facile. À ce point, elle est couchée de tout son long tant bien que mal, à se tenir le crâne et sacrer chaque fois que le chauffeur pogne une grosse bosse à toute vitesse, ce qui est fréquent vu qu’il fait maintenant un peu noir. Je sais pas si c’est le changement de pression atmosphérique qui la décrisse à ce point (moi-même j’ai les oreilles qui se bouchent tout le temps) mais elle a pas l’air dans son assiette.
On arrête manger à une petite cabane isolée, je sacre et j’exprime que c’est une perte de temps vu qu’on est bientôt arrivés. Bin non toé, il reste quatre heures de route à faire! Ça c’est si on est chanceux, que le chauffeur exprime avec son chinois mandarin cassé de Tibétain. La bouffe est plutôt simple, un ragoût de yak un peu malodorant mais qui remplit bien, avec des patates et une autre racine quelconque, servi sur un bol de riz. Pas de bière, je me contente d’une bouteille d’eau.
Le dernier leg de route est pénible, vu que y a pus de paysage à regarder et qu’il est bien sûr impossible de dormir quand on passe 10% de son temps dans les airs avant de ratterrir durement sur le siège.
On arrive FINALEMENT à Ganzi. On m’informe de pas manquer le bus de 6 heures du matin vers Kangding, car c’est le seul. Je check ma montre, il est passé minuit. Nuit courte en perspective…
Je dois réveiller la gardienne de l’hôtel pour qu’a rouvre la porte question que je rentre, et le lendemain, question que je sorte. En Chine, ils aiment se torcher avec les règles logiques de prévention d’incendies et barrer toutes les portes avec des grosses chaînes pour rien.
Je cherche le guichet automatique le plus proche, question que je puisse payer mon billet d’autobus. Un Chinois, qui parle plutôt bien anglais, m’informe que y a juste une banque en ville et qu’a rouvre à 10 heures. Je le trust pas du tout (heille, voyagez un peu pour comprendre pourquoi il faut pas faire confiance aux gens qui parlent anglais et qui se tiennent autour des stations d’autobus et gares de train alors qu’il fait même pas encore clair), alors je marche vers la dite banque en espérant qu’il y ait un guichet 24/7, mais le gars avait raison. N’n’a pas. Je capote légèrement (beaucoup), jusqu’à ce que le chauffeur me propose de prendre le bus pour gratis et payer une fois à Kangding. Wow! Jésus est redescendu sur Terre sous la forme d’un petit Chinois bedonnant et chauve!
Je suis donc bien content de prendre place dans l’autobus. La journée se passe plutôt sans histoire. La route est amochée comme ça se peut pas, et à de nombreux endroits même, en construction. J’ai les cinq sièges du fond à moi seul, je m’y étends comme sur un lit et je comprends bin vite pourquoi tout le monde se masse vers le milieu! L’arrière du bus est celui qui a la plus grosse amplitude quand on heurte une bosse, et agit comme le bout d’un fouet. Pas facile… Impossible de dormir ou de lire un livre, et mon lecteur mp3 a pus de batteries, ce qui fait que je peux pas écouter mon death metal et enterrer l’esti de musique liturgique bouddhiste qui joue des speakers des téléphones des passagers, une technologie plutôt nouvelle et déplaisante en 2009.
Alors je regarde le paysage qui a beaucoup changé depuis la veille, les plateaux faisant place à des vallées sans fond et des montagnes sans toit, et au lieu d’herbes basses, on est rendu avec des gros arbres, surtout des conifères. On se croirait presque dans la vallée de la rivière Saint-Maurice.
Il y a encore beaucoup de culture Tibétaine dans les rares endroits habités, et plein de petits monuments dont j’ignore le nom mais qu’on voit dans Tintin au Tibet. Vous savez, tsé, les espèces de cônes dorés stylisés sur une base blanche? Bin y en a beaucoup. Et parfois, à flanc de montagne, on peut voir des mots gigantesques écrits avec l’intéressante écriture tibétaine.
L’arrivée à Kangding se fait à 20h le soir, après 12 heures de route 2 heures de niaisage dû à un barrage policier, et un accident où un autre autobus a heurté notre miroir, à basse vitesse heureusement, ce qui a emmené les deux chauffeurs à s’échanger des vulgarités et même quelques claques sur la yeule.
Je suis vanné, et je décide de pas gratter mes cennes et de me payer un bon hôtel avec une piscine, ou je macère longuement avant de dormir un bon 10 heures. Je pensais arriver à Kangding en une journée, mais ça en a pris deux, qui furent plutôt douloureuses et épuisantes. Je suis en retard sur mon planning, je décide donc de pas aller visiter le parc du glacier du mont Gonga (à 7500 m d’altitude!) et surtout, surtout, de ne pas suivre mon plan initial de descendre vers Dali par les petites routes, qui promettent d’être aussi pire que celles que je viens de me taper. Je me dirige donc vers Chengdu, question de voir ce que la métropole a à m’offrir.
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