Quand j’habitais à Jinan, dans le nord de la Chine, un de mes bons chums se nommait Ethiopian Thomas. J’étais assis dans le quartier musulman à boire de la bière et manger des brochettes de mouton avec un de mes collègues quand on l’a vu assis tout seul quelques tables à côté et qu’on l’a invité à se joindre à nous.
Récemment arrivé en Chine, il est vite devenu un membre de ma petite gang de mécréants et au fil des mois a acquis une réputation pour toujours se ramasser dans le trouble, soit par sa faute ou par pure malchance: recevoir une bouteille de bière sur la tête durant une bataille de bar où il était pas impliqué, se faire embarrer en dehors de chez lui, sortir du train à la mauvaise station et pas être capable de trouver son chemin parce qu’il parle pas chinois, être impliqué dans un accident en tant que passager d’un taxi, pis surtout constamment perdre son cellulaire, ce qui le rendait injoignable pour de longues périodes. Aussi, me dois-je de dire, les partys qu’il organisait avec son coloc Ray étaient toujours légendaires, y en a pas un seul où la police se soit pas pointé plusieurs fois.
Un bon vivant donc, et avec un sens de l’humour pour compenser toutes les mésaventures qui lui arrivent. Friand de cyclisme tout comme moi, il avait acheté un beau vélo de route (qu’il s’est éventuellement fait voler, of course) et de temps à autre on s’intoxicait et on allait faire des promenades de nuit dans la grosse ville ou ses nouveaux développements qui faisaient penser à des films de science-fiction.

Un jour, on passe devant une place qu’on a souvent vu tous les deux sans jamais y entrer: on dirait un genre de saloon, tout en boiseries fake, avec des roues de charrette pinées dans le mur extérieur. Outre le nom en chinglish WEST SONG TOWN et son équivalent chinois qui veut pas dire plus grand chose, y a rien.
“C’est quoi cette place-là? C’est-tu un bar?”
“J’imagine que oui, mais chus jamais allé pis je pense pas je connais personne qui y soit allé non plus.”
Deux gars en chemise blanche avec des coupes de cheveux bouffantes sortent et nous regardent avec l’air un peu curieux et awkward que les Chinois ont quand ils voient les rares résidents étrangers de leur pays. Je les interpelle et leur demande en chinois la question qu’on vient de se poser. On vient de faire une ride de deux heures et on commençait à avoir le goût d’une bière, que ce soit dans un de nos bars habituels ou un nouveau. Un des serveurs répond:
“Ouin, c’est un genre de bar. Voulez-vous entrer? On a du monde comme lui à l’intérieur!”
Je pars à rire et traduis vite fait pour Thomas.
“Qu’est-ce tu veux dire, du monde comme lui?”
Il me fait signe d’attendre, entre, et revient avec un gros Noir à dreadlocks. Un gros sourire fend sa face en deux, il vient nous serrer la main et se présente comme John, du Nigéria. On le suit, passé un guichet où tout le monde qui entre se fait charger 50 yuan (environ 10 piasses) mais non seulement on paye pas, une fois rendus à notre table, on se fait emmener six bières.
Sur le stage, un duo d’acrobates donnent un show. Un gars et une fille, crissement trop en forme, genre que le gars lève la fille à une main par dessus sa tête, et celle-ci se tient à la verticale pendant quelques secondes avant de faire une backflip. Ah c’est ça donc? C’est comme une espèce de cirque?
John nous dit que son show à lui est dans une heure et quelque, et que d’ici là on est sur sa guestlist, bière à volonté. On trinque et le remercie, Thomas lui demande c’est quoi qu’il va faire. “You’ll see!”, répond-il comme une agace. Il dit que ça fait cinq ans qu’il fait ça, il se promène d’une ville chinoise à l’autre, restant quelques semaines dans chaque, à faire son show. Durant le jour il va au gym, le soir il performe, ça paye pas énormément mais il est content, et sans qu’on lui demande il avance l’info comme quoi il a une blonde russe à Beijing mais est constamment en train de baiser des Chinoises quand il est sur la route, le genre qui ont jamais vu d’Africains en personne. Ah bin.
Les shows s’enchaînent, et c’est vraiment de la variété. Il y a un monsieur âgé qui peint un paysage et quelques caractères chinois sur une grosse toile verticale pendant qu’une fille joue de la harpe, et ce qu’il arrive à faire en dedans d’à peine cinq minutes est assez impressionant. Puis ils le vendent aux enchères. Il y a aussi un genre de magicien, et du monde qui chante, certaines prestations valent la peine, d’autres, je fais mieux sur la brosse au karaoké.
Entre les shows, un animateur et quelques gars de support font des sketches humoristiques, très très slapstick et vulgaires, malaisants un peu même. On parle de des enfants (ou en tout cas des bonhommes déguisés en enfants) qui se font battre, et un gars habillé tout croche qui fait semblant d’être handicapé mental. Je comprends pas tout ce qui se passe, mais je traduis des bouttes pour Thomas et on se marre devant un tel show qui passerait jamais dans nos pays, en tout cas pas depuis les années 50 au moins. À un moment donné, une chanteuse d’opéra un peu corpulente finit son show, et l’animateur se met à la traiter de grosse toutoune et à se moquer d’elle avec des mots de slang local, qu’elle semble pas connaître vu qu’elle vient du sud de la Chine. Ça je trouve un peu moins drôle, surtout que l’animateur lui-même est un petit tas de graisse qui a l’air incapable de monter deux étages sans vomir.
Puis c’est le tour à John. Il se pointe sur le stage avec une grosse chemise fleurie et se met à chanter Larger Than Life des Backstreet Boys, avec une gang de filles peu vêtues qui dansent en backup. Rien de si spécial à date. Puis l’animateur monte sur le stage et dit au monde de l’applaudir. John lui dit en anglais “Remercie la foule de ma part” et le gars de rétorquer brusquement en chinois “Hein? Qu’est-ce tu dis? Je comprends pas l’africain” (comme si c’était une langue)
Oh boy! Ça commence bin.
(en anglais) “Dis-leur qu’ils ont été une bonne foule! Et que je vais en chanter une autre”
(en chinois) “Dis-moi donc, quand tu manges du chocolat as-tu peur de te mordre les doigts?”
La foule, surtout composée de vieux Chinois, érupte de rire.
“As-tu des frères et soeurs qui se sont fait manger par des lions? Si y a une panne d’électricité au moins si tu fais un grand sourire on pourra voir! Laisse-moi deviner, quand tes parents t’ont conçu, ils ont fermé la lumière, c’est pour ça t’es noir de même?”
Je traduis pour Thomas, qui en est rendu plié en deux de rire. John est là sur le stage, et tout le long il a juste l’air confus, puis finalement il rétorque en chinois presque sans accent:
“T’es-tu fait violer par ton grand-père? Si ton pénis est petit comme ça c’est-tu parce que tu manges du riz à tous les jours?” Pis plein d’autres affaires que je comprends à moitié, mais qui font haleter la foule brusquement. “Wah! Tout le long, il comprenait!”
La musique d’une vieille toune de propagande communiste part, et John se met à la chanter. Le genre de shit de l’époque de Mao, les vieux Chinetoques tapent dans leurs mains et se régalent. Il descend dans la foule et passe le micro à du monde random pour des lignes du refrain, et fait quelques lapdances assez inappropriées à des madames de 60 ans.
Puis il retourne sur le stage, fait quelques jokes, avant d’enlever sa chemise, de se verser du gaz à briquet sur le chest, pis de se crisser en feu. Une grosse flamme bleue l’enrobe pour quelques secondes avant de se disperser. Ensuite il sort un paquet de cigarettes et en mange quelques-unes.
On peut pas dire qu’on l’avait vu venir celle-là…
Il revient s’asseoir avec nous, et cale une bière froide avant d’en ouvrir une autre. Il nous demande comment on a trouvé ça, je pense j’ai besoin d’un peu de recul pour faire la synthèse de toutes les opinions contradictoires qui me passent par la tête, alors je me contente d’un “C’était spécial!”.
Thomas, lui, dit avoir pas ri comme ça depuis un méchant boutte.
Ça ajoute quand même pas mal de nuance à la chose. Est-ce que le show de John était malaisant? Sans aucun doute. Raciste? Bin en tout cas c’est sûr que de se ridiculiser comme ça volontairement, soir après soir, devant une gang de monde aussi arriérée que les Chinois d’un certain âge qui habitent les villes provinciales, aide pas le sort des Africains, Afro-Américains pis les étrangers en général qui habitent en Chine et veulent se faire prendre au moins un petit peu au sérieux. Je réitère, on est rares en tabarnak ici, des fois je peux passer une journée complète à me promener et magasiner et pas en croiser aucun (dans des villes de genre 10 millions), à moins que j’aille au bar de neckbeards ou à la pizzéria ou proche d’un campus d’université. Y a aucun doute que la majorité des péquenots assis dans la salle ont jamais vu un black d’aussi proche, et là, c’est leur seul point de référence envers le milliard d’individus d’origine Africaine qui, disons-le, sont déjà pas affublés des stéréotypes les plus positifs et traités super bien.
Faque ce que John fait, à une plus petite échelle, pourrait être comparé à Bobby Ologun, son compatriote qui est devenu célèbre au Japon à faire un fou de lui à la TV. Mais en même temps, c’est sa vie, non? Pis si Thomas trouve ça drôle, chus qui pour m’offenser en son nom? Ça pue la condescendance, tout ça. Chus pas le Grand Sauveur Blanc Protecteur De La Morale, juste un dude qui est là pour boire de la bière gratis pis regarder un show de variétés.
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