Down and Out in Québec, Partie 1

Faque après deux ans en Asie et un long voyage qui m’a emmené de la Thaïlande jusqu’en France, j’ai atterri à Montréal avec environ 300 piasses à mon nom. Mon père est venu me chercher à l’aéroport et on a fait les deux heures de route jusqu’à Québec, nous arrêtant à mi-chemin à sa pizzeria préférée (Le Grec à Trois-Rivières-Ouest) pour une bonne grosse pizz’ graisseuse à souhait.

Les gens parlent souvent de “choc culturel inversé”, du sentiment d’aliénation totale au retour d’un long voyage ou d’un séjour à l’étranger, mais au lieu de cela, j’avais l’impression d’être jamais parti. Au début, c’était un peu bizarre d’entendre parler en frança autour de moi, mais même le deuxième jour, je me suis retrouvé à marcher jusqu’au Provigo et à quasiment oublier que ça faisait deux ans que j’avais pas mis le pied dans ces rues.

Je me suis rendu à Montréal pis à Ottawa-Gatineau avec Amigo Express, et j’ai constaté que très peu de choses avaient changé. Sur le chemin du retour de Thaïlande, je m’étais arrêté dans le bled central de Chine où je vivais un an auparavant, pis y avait des tonnes de nouveaux développements, routes, buildings, au point que certaines parties de la ville étaient méconnaissables. Comparé à ça, j’ai eu du mal à voir ne serait-ce qu’une différence physique entre le Québec/Montréal/Ottawa/Gatineau de 2008 et de 2010, à part que le Wal-Mart avait maintenant agrandi son stationnement pis qu’y avait un Quizno là où il y avait un Subway avant.

Visiter des chums et la famille ont mené à des observations très similaires. Non seulement ils étaient exactement identiques physiquement (je sais pas à quoi je m’attendais sti, juste 24 mois avaient passé), mais ils étaient encore à peu près les mêmes personnes que quand j’es avais vus pour la dernière fois. Entretemps, j’avais vu une grande partie du monde, j’avais appris des langues étrangères, j’avais développé une perspective très différente, j’avais vécu des expériences auxquelles ils ne pouvaient pas du tout s’identifier. J’irai pas dire que ça m’a rendu meilleur qu’eux parce que ce serait complètement retardé et inexact, et la situation financière désastreuse dans laquelle je me trouvais pointait dans une toute autre direction pendant qu’eux autres avaient genre des maisons pis des chars pis tout ça, mais il y avait maintenant un petit écart entre moi et mon ancien cercle social, c’était indéniable.

Pas pour dire que c’était awkward ou qu’on s’entendait pus, bin au contraire. Tout le monde était content de me voir et le sentiment était réciproque. En fait, depuis ce temps-là, je vois ce sentiment de familiarité et de staticité pas comme plate et décevant, mais comme réconfortant. C’est vraiment nice de voir un vieux chum ou une connaissance ou un cousin que j’ai pas vu depuis cinq ou sept ans, dire “Heille, ça va bin?” pis de se mettre à jaser comme si on s’était jamais séparés.

Je suis retourné à la maison de banlieue de mon père avec pas loin de 0$ en poche. Il était maintenant le temps de décider ce que je fouterais bin de ma vie.

J’étais alors complètement accro au voyage pis je voulais maintenir le style de vie de vagabond. L’Afrique m’appelait, ou peut-être l’Amérique Latine, ou plus d’Europe, plus d’Asie, j’étais partant pour à peu près n’importe quoi. J’avais checké un peu les programmes de vacances-travail en Australie ou en Nouvelle-Zélande, qui ont financé plusieurs aventures de globe-trotters, mais pour tu-suite, je décidai de rester un peu au Québec et de reconstituer mes fonds.

Mon chum Alex qui vivait à Longueuil m’a suggéré de déménager avec lui et de pogner une job de vidangeur, ce qui avait financé les voyages de son frère les années précédentes. Le travail est un peu tough mais assez payant, surtout avec l’overtime, pis y cherchent toujours du monde. Je pourrais sauver quelques milliers de piasses dans le temps de le dire. Cependant, à peu près une semaine avant mon arrivée, il m’a envoyé un message et m’a dit que l’offre était pus sur la table, car sa blonde venait d’emménager avec lui et aimait pas trop l’idée d’avoir un colocataire sur place. Ah bin.

Faque je me suis rabattu sur les compagnies d’enlèvement d’ordures de Québec à la place. Ça peut sembler stupide, mais depuis que je suis kid, ce métier m’intéresse. Je voyais le camion à vidanges s’arrêter sur le bord de la rue, les gars avec leurs vestes jaunes fluo sauter de leurs plates-formes suspendues pour garrocher les sacs à l’arrière du truck, où ça se faisait effouairer par une presse hydraulique intimidante. Après ça, ils couraient et s’accrochaient après le camion déjà en marche. Ça avait l’air tellement cool. Si j’étais pour faire une “job de bras”, autant celle-là.

Malheureusement, le sombre nuage d’automatisation dont on entend constamment parler ces jours-ci se pointait déjà le nez, et à Québec, ils avaient récemment modernisé leur flotte, avec ces camions qui utilisent des bras robotiques pour ramasser les poubelles vertes que le monde aligne sur leur trottoir. Ainsi, ils embauchent yinque des personnes avec un permis de conduire spécialisé, ce que j’avais évidemment pas. J’avais même pus de permis de conduire ordinaire, je l’avais laissé expirer quand chus parti en Chine.

Légèrement déçu, j’ai commencé à explorer d’autres options. Mon plan, sur papier, semblait irréprochable. C’était la fin du mois d’août, lorsque tous les étudiants des Cégeps pis universités ont quitté leur emploi d’été et il devrait donc y avoir une abondance de travail disponible pour quiconque souhaite le prendre. Ça a du sens non?

J’ai parcouru des sites d’emploi pis envoyé de nombreux courriels. Je me suis aussi promené avec une pile de CV imprimés, les déposant dans les dépanneurs, les stations-service, les supermarchés, divers grands magasins, avec l’objectif d’au moins y aller même si c’est du travail de marde au salaire minimum pis de chercher de quoi de mieux sur le side. Mon père m’a dit qu’il était parfaitement OK pour m’héberger et me nourrir, mais il y a quelque chose d’assez inconfortable à tèter le mamelon parental après plusieurs années d’indépendance. Pas mon style pantoute. Je me disais que je prendrais son hospitalité volontiers, parce que ça sert absolument à rien de ralentir ma capacité à empiler de l’argent en déménageant ailleurs, pis aussi, bin, parce que je l’avais pas vu depuis deux ans, mais j’insistais quand même pour aider avec l’épicerie.

Ma recherche d’emploi a mené à absolument fuckall, ce qui m’a un peu surpris parce que, comme je l’ai dit, je m’attendais à ce que les employeurs veuillent reconstituer le personnel qu’ils avaient perdu à leur retour à l’école. Un peu désespéré, je suis allé dans une fucking agence de placement. La ville de Québec, surtout en 2010, avait tendance à être une ville très blanche. La joke était qu’un Noir à QC devait être un étudiant à l’Université Laval. En entrant dans la salle d’attente, j’étais le seul dude blanc à pas être derrière un comptoir. Des Arabes, des Africains, des Latinos et d’autres arrivants récents étaient assis, remplissant des formulaires, attendant leur entrevue. Je me suis joint à eux. Lorsque la réceptionniste a appelé les gens, tout le monde a levé les yeux quand elle a lu mon nom, un nom de Queb bin normal, parmi tous les noms ethniques. Ça doit pas arriver si souvent.

Le lendemain, ils m’ont appelé et m’ont proposé un emploi d’entretien ménager dans un hôtel. Femme de chambre. Ou homme de chambre?! Pas vraiment prestigieux, mais comme j’en étais à mon dernier bill de 20$, j’ai sorti du cabanon le vieux bicycle tout croche à mon petit frère et je me suis rendu là-bas un beau matin de début septembre.

Mon mentor pour le premier jour était une madame portugaise trapue, bin amicale, très typique de beaucoup d’immigrants de première génération et de leur incarnation du rêve américain: traverser l’océan avec pas grand-chose d’autre que les vêtements sur son dos, travailler d’arrache-cul dans une jobine ingrate au point que son fils allait maintenant à l’université. Pendant ce temps-là, moi j’étais déjà un membre instruit de la classe moyenne, dont les décisions douteuses et l’envie de voyager avaient conduit à la pénurie et avoir besoin d’un tel emploi.

On a passé quelques heures ensemble, avec elle qui me montrait les cordes, pis pour le reste de la journée j’avais mon propre chariot et une liste de chambres à nettoyer. Elle venait de temps en temps pour checker mon travail et me donner des conseils, mais sans être pointilleuse ou condescendante ou micromanageuse. En gros, j’aimais ça pas si pire. Je travaillais seul, ce avec quoi j’ai toujours été très à l’aise, et c’était assez facile. L’hôtel est sur le bord d’une autoroute proche des ponts à Ste-Foy, avec surtout une clientèle d’affaires, faque c’est pas comme si les chambres étaient toutes trashées ou les draps pleins de taches de sperme pis de condoms usés. Je moppais le faux plancher de bois, changeais les draps et rangeais la pièce selon ma petite checklist. Avant que je m’en rende compte, la journée était finie et je venais de me faire 80$. Baby steps, je suppose.

Je peux pas vraiment dire que je m’entendais super bien avec mes collègues, qui étaient pour la plupart des femmes d’âge moyen à voix râpeuses de fumeuses de cigarettes, originaires des quartiers ghetto de la ville, avec peu de diplômes d’études secondaires parmi elles. À cause de mon accent gatinois pis de mon français qui faisait franchement dur après deux ans à le parler peu, cette gang de Guylaines Gagnons pensaient que j’étais un Anglo, ce qui a creusé encore plus le fossé. Dire qu’on avait rien en commun serait un euphémisme, alors j’étais assis seul en silence à grignoter mon lunch pendant qu’elles parlaient d’affaires de matantes. Le seul autre mâle dans la salle du staff était un Arabe qui travaillait aux laveuses-sécheuses.

J’ai fait ma deuxième journée sans incident, et je me suis dit que je pourrais faire cette job un bout de temps, en essayant entretemps de trouver un emploi mieux rémunéré peut-être dans une usine ou pour le département des parcs et des loisirs, quelque chose où je me sentirais moins nowhere.

Après le briefing de fin de journée, cependant, j’ai été convoqué au bureau de la superviseure. Bin, quand je dis bureau, c’était plus comme un placard à balais avec un vieil ordinateur poussiéreux.

– Faque, c’est quoi ton objectif ici?, m’a demandé la superviseure cute.

– Euh, qu’est-ce que tu veux dire?

– J’ai demandé pour ton CV à l’agence de placement, ils viennent de l’envoyer.

– Pis? Quelque chose qui va pas?

– Ça dit que t’as un bac? Et que tu travaillais comme prof?

– Correct.

– Pourquoi t’as accepté ce poste d’abord?

Son ton était plutôt suspect. Comprenable, j’imagine. J’avais pas la gueule de l’emploi, de plus qu’une façon.

J’ai résumé les derniers mois de ma vie, comment j’ai atterri à la maison avec très peu d’argent à mon nom en raison de jobines de prof d’anglais peu payés en Asie pis d’avoir floabé mes maigres économies en voyageant, et comment chus en effet un peu désespéré. Cela avait beaucoup de sens dans ma tête mais je pouvais voir sur sa face qu’a me croyait pas, ou que mon explication était loin d’apaiser les doutes qu’elle nourrissait envers moi.

– Maria a dit que tu faisais une bonne job.

Wow, merci. Accomplir avec compétence une tâche qui est généralement faite par des immigrants fresh off the boat pis des mères monoparentales sans éducation. J’ai quasiment rougi.

Il y a un mais, right? Il y a toujours un esti de mais.

– Mais…

– … elle m’a dit que tu y as demandé quoi faire avec les bouteilles de vin que les gens laissaient dans leur chambre.

En effet. Y avait une espèce de conférence à l’hôtel, et les participants ont tous reçu une petite bouteille de vin de glace. J’ai dû jeter beaucoup de bouteilles vides en nettoyant mes chambres, mais certaines étaient restées là, non ouvertes, pis je savais vraiment pas quoi en faire, faque j’ai demandé. On les remet-tu quelque part dans une caisse? Ou on les crisse aux vidanges? Cette dernière, il s’est avéré, alors j’ai jeté les bouteilles pleines dans le sac Glad heavy-duty attaché à mon chariot.

– Tsé, les clients laissent souvent des objets de valeur dans leur chambre. Des ordinateurs portables, tout ça.

Elle avait été friendly avant, mais maintenant son ton condescendant commençait à me taper sur les fucking nerfs. Chie ou tasse-toé de la bolle, tabarnak. Je suis pas on the clock, je veux retourner à maison pis boire une bière dans la cour avec mon père.

– Tu voulais les garder, c’est ça hin? C’est pour ça que t’avais posé la question?

Un peu un stretch. Mais ouin, je suppose, je bois même pas tant de vin, mais si ces bouteilles étaient destinées à la poubelle, j’en aurais gardé une ou deux pour en donner à mon père et à ma belle-mère. Pourquoi pas? J’haïs le gaspillage.

Elle se leva.

– On peut pas te faire confiance. J’ai parlé à mon supérieur hiérarchique, on pense que t’es ici parce que tu veux voler nos clients. Je vais te demander de remettre ta carte magnétique.

C’était clairement une accusation non-fondée et j’étais gravement offensé par ces allégations. Mais bon, autant que j’étais prêt à piler sur mon orgueil et faire un travail de marde bien en deça de mon niveau d’éducation et d’expertise, y a quand même des calisses de limites, et me mettre à genoux pour la supplier de me laisser travailler là c’est pas une ligne que je voulais franchir. J’ai sorti la carte de mes poches pis je l’ai mise sur la table avant de faire demi-tour pis de décrisser sans dire un mot.

Et c’est toute. Ma carrière de femme de chambre d’hôtel a duré un gros 16 heures.

De retour au square motherfucking one, même si j’ai reçu un chèque de paye quelques jours plus tard, qui était vraiment le bienvenu.

À SUIVRE…

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