La Grande Évasion

Ma première année en Chine, j’étais prof d’anglais dans un collège situé en région assez rurale, entouré de champs et de fermes, à 15 minutes de char d’une ville. Un milieu assez dépaysant donc, et mon esprit de jeune blanc-bec aventurier appréciait comment immersif c’était. Les gens du coin étaient évidemment un peu fascinés par la présence de quelques étrangers dans leur trou perdu, et on recevait pas mal d’attention, la plupart étant positive. Des fois, par contre, trop c’est trop.

Donc j’avais ma petite gang, des Américains avec qui je travaillais, et aussi quelques Chinois ici et là, dont Davey, un étudiant de troisième année en finance qui avait plus ou moins maîtrisé l’anglais et donc se tenait autour de notre groupe de profs étrangers. Je l’avais rencontré quand on est allés, des collègues des Philippines pis moi, acheter des cossins électroniques, et il était venu pour nous aider et traduire. On est devenus chums, et on a même voyagé en train ensemble deux semaines de temps durant les vacances d’hiver.

Via Davey, j’ai aussi fait la connaissance d’un juge de la cour municipale, qui parlait un peu anglais et m’invitait des fois a aller jouer au badminton, se promener dans son char de police, ou aller manger du barbecue douteux, des fois avec Davey, des fois juste nous deux. Un petit monsieur sympathique.

Un après-midi, je recois un message de Davey, qui me dit que “le juge” demande si chus libre à soir. Pourquoi pas. Deux semaines avant, on avait parlé d’aller grimper la montagne ensemble (une montagne en péripherie de la ville, peut-être 30 minutes à monter des escaliers taillés dans la roche, et avec des tables de pool sous une tente à mi-chemin).

Je rencontre Davey, et à la gate du collège, un char vient nous ramasser. Il est conduit par un bonhomme maigre, et sur le siège de passager y a une bonne femme avec un coat léopard et les sourcils peinturés en maquillage lui donnant un permafrown. On prend place en arrière.

“C’est qui eux? Y est où Judge Li?”

“Lui c’est Judge Hu. Il a un souper avec du monde a soir, il voulait t’inviter”


“WHAT THE FUCK! T’as juste dit le juge, je pensais tu parlais du même juge que d’habitude?!”

“Ils voulaient rencontrer un étranger”, retorque-t-il, comme si c’etait pour arranger mon etat d’esprit au lieu de me mettre encore plus en tabarnak de m’etre fait emberlificoter là-dedans.

Judge Hu et Mme Resting Bitch Face parlent pas anglais. Mon chinois est de la grosse marde, après juste quelques mois au pays. Judge Hu demande des questions à Davey a mon sujet, il répond, quand il sait pas la réponse il me le demande et je réponds par des grognements monosyllabiques avant qu’il traduise. On roule en char peut-être une demi-heure de temps, mais ça passe très lentement.

On arrive au restaurant, une grosse patente dans le milieu de nulle part, et l’intérieur est d’un luxe kétaine, avec des statues et des aquariums. On se fait diriger vers une salle avec une grosse table ronde, où quelques bonhommes sont déjà assis. Je porte des shorts, un t-shirt vert avec des taches de sauce dessus, et une casquette avec le logo de la brasserie Tremblay (que j’ai reçue dans une caisse de 24 avant de partir du Québec). Je pensais on allait grimper la montagne sti. Les Chinois s’habillent pas vraiment formellement quand ils vont au restaurant, mais à savoir, j’aurais mis une chemise à boutons à place. Ou mieux encore, j’aurais sorti une excuse et je serais juste pas fucking allé à cet esti de souper avec une gang de péquenots parvenus qui vont me regarder tout le long comme si j’étais un animal de cirque (et je parle par expérience).

Davey me dit que le gros bonhomme chauve à côté de moi est important, mais manque de vocabulaire pour me dire pourquoi. Il me pose des questions, la même marde habituelle, je réponds quand chus capable. Il me dit plein d’affaires que je comprends pas, une que je comprends est quand il parle d’économie, comme quoi l’économie du Canada va pas bin mais celle de la Chine oui. Chus supposé répondre quoi à cette pathétique tentative de redressement de complexe d’infériorité? Je veux caler une bière, mais y a rien sur la table à part des graines de tournesol.

Les autres convives s’assemblent autour de ma chaise, Judge Hu sort une caméra et donne des instructions verbales ou non-verbales pour ce qui est de se placer. Je bondis debout, marmonne “aller aux toilettes” en chinois, ce qui semble les satisfaire. Ma précieuse casquette Tremblay est accrochée sur la patère, je prie pour que personne, surtout pas Davey, me voie la prendre. Victoire, pour tu suite.

Je sais pas pantoute pourquoi chus pas juste sorti par la porte d’en avant. Je pensais qu’il y aurait quoi, des sentinelles, avec des walkie-talkies, les alertant de mon évasion?! Toujours est-il que en passant devant la cuisine, j’ai vu que au fond, une porte menait dehors, faque je me suis engagé dedans, zigzaguant entre les cooks. Peut-être que je voulais augmenter le petit caractère illicite de la chose.

Une fois dehors, je me mets à courir. Mon téléphone sonne, c’est Davey, je réponds pas. J’hésite un peu… devrais-je retourner? Une camionette approche au loin, et subconsciemment, je lève ma main, et elle arrête. Point de non-retour.

Les trois gars dans la vanne sont évidemment un peu confus que je sois là, je leur demande si y vont en ville. Non, jusqu’à l’autoroute, on peut t’emmener, qu’ils disent. Je les remercie et saute dans le véhicule.

Mon cell arrête pas de sonner, je l’éteins. Rendus à l’autoroute, le chauffeur s’apprête a prendre une bretelle qui va dans la direction opposée d’où je veux aller, et me pointe le chemin. Je suis à 6 km de chez moi (j’ai checké sur Google Maps le lendemain), je suis encore un peu pompé, alors je me rends à pied, alternant marche rapide et jogging.

Davey était évidemment pas content. Je l’ai pas vu pendant au moins une semaine, durant laquelle un de nos chums communs américains lui a expliqué pourquoi ce qu’il a fait, ça se fait pas. En tant que laowai dans une petite ville creuse, on reçoit déjà assez d’attention non-voulue comme ça, et ça en vient overwhelming. Ça fait partie de la game comme on dit, et il faut accepter ça, mais quand c’est une personne qu’on croyait notre ami qui nous traîne dans une telle situation, bin ça fait chier. Quand je l’ai croisé quelques jours plus tard, je me suis excusé de l’avoir embarassé, il s’est excusé de m’avoir bait-and-switch comme ça, et boom, drama over. On est encore chums à ce jour et les rares fois je le vois (on habite loin) des fois on en rit.

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