Extrait de mon journal, 24 juin 2021
Distance parcourue : 343 km (total 558 km)
Je savais que la nuit serait courte; à cause que c’est le solstice d’été, les journées commencent tôt et finissent tard. La semaine dernière, quand j’ai campé dans la campagne proche de Wuxi, j’étais debout avant 5 heures, quand le soleil a transformé ma tente en sauna, même avec les arbres autour. Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que EUX ils émergent si tôt. Je dormais d’un sommeil léger, puis les bruits intermittents m’ont réveillé en sursaut. La première vague est arrivée à 2h! Rendus là, on appelle-tu ça se lever tôt ou pas se coucher pantoute? Je sais qu’ils sont vieux et retraités, mais y dorment pas, tabarnak?!
Je parle des vieux Nanjingers qui viennent pour leur saucette matinale, ici.
À partir de ce moment-là, c’était à peu près un assaut non-stop, on pouvait pas les voir mais on les entendait venir de tous les côtés. Il existe une théorie selon laquelle, vu que les Chinois ont été des paysans pendant des millénaires, à passer leurs journées à cueillir du riz à 100 mètres de distance l’un l‘autre, leur façon de communiquer en se criant après au travers de la rizière s’est enracinée dans leur ADN. Je sais pas s’il existe un fond scientifique à cette affirmation légèrement raciste (bien qu’hilarante), mais ça expliquerait certainement pas mal de choses. Pis vous avez même pas besoin de venir en Chine pour observer ce phénomène, il suffit de vous rendre à l’aéroport international le plus proche et de regarder les couples chinois se gueuler après d’un bout à l’autre de la boutique hors taxes alors qu’ils remplissent leurs paniers d’épicerie, plutôt que de se rapprocher.
Certains avaient des chums sur l’autre rive du lac et ils se criaient des “OUH, OUH, OUUUUH!!!” comme des loups, à un moment donné une femme a braqué une lampe de poche dans notre direction et a dit “Hin?! Une tente? Quelqu’un dort icitte?” mais s’est immédiatement remise à crier avec ses compagnons. Je peux pas dire que j’étais en maudit, tsé, c’est pas comme si la place était un lieu de camping établi, c’est nous qui sommes dans leur monde, ils viennent nager à tous les matins, et en fait on est pas supposés camper ici, on a sneaké in après la noirceur avant de planter la tente, d’ouvrir les bières et faire cuire un souper tardif.

Mes deux copains semblaient aussi de bonne humeur (malgré le léger lendemain de brosse et le manque de sommeil) quand on est sortis à 5h15, le soleil déjà haut dans le ciel. Des dizaines de vieillards chinois en speedos s’étiraient, se séchaient après leur baignade ou faisaient des pull-ups sur des branches d’arbres, faisant le saut à la vue de trois dudes blancs poilus et d’un petit chien excité sortant de la mystérieuse tente. On s’est pitchés dans l’eau, on a mangé des prunes pour déjeuner et fait nos bagages. Il était encore tôt en sacrament quand on est arrivés au parking, l’Américain de Hefei partant sur son scooter et moi déposant le Biélorusse Excentrique à la station de métro pour qu’il puisse se rendre à la station de trains et artourner chez eux, me donnant rendez-vous dans une semaine à Jinan.
J’avais donc maintenant trois jours pour parcourir 800 km jusqu’au village de Chenjiagou, où je retrouverai mes chums latinos pour un week-end de cours de tai chi dans le village d’où cet art martial bizarre est originaire. J’ai mis mon GPS en mode moto, ce qui évite les autoroutes. J’ai mon permis de conduire chinois mais vu que ça fait moins qu’un an, chus encore en probation alors je peux pas rouler seul sur les autoroutes pis je ferais mieux de ne pas prendre le risque. Bin sûr, ça veut dire que c’est crissement plus lent, mais bon, j’ai le temps. Le boulevard surélevé m’a fait sortir de Nanjing via les nouveaux développements de style Blade Runner, puis je me suis dirigé vers le nord-ouest dans la campagne.

La courte nuit et le niveau d’activité d’hier (pratique de capoeira et de jiu-jitsu, game de hockey bottine, bin du vélo, et transporter notre stuff de camping) m’ont rattrapé en milieu de matinée, et même avec l’air climatisé à fond la caisse dans ma petite Nissan et la sélection de musique agressive, j’ai commencé à cogner des clous après une couple d’heures. Je me suis arrêté devant un bâtiment abandonné qui me donnait de l’ombre, j’ai incliné le siège et je me suis endormi beaucoup plus longtemps que je pensais au départ. Le soleil rendu vertical a commencé à me taper dessus, alors j’ai calé de l’eau et j’ai continué à rouler.
Je me suis arrêté pour des nouilles au bœuf dans un shack sur le bord de la route, et après mon repas rapide, le boss m’a demandé comment c’était. “Délicieux”, répondis-je, sincèrement. C’était vraiment bon. “Peux-tu le répéter pour la caméra?” Y a sorti son téléphone et m’a demandé à nouveau, j’ai haussé les épaules pis fait ce qu’il m’a demandé, question qu’il ait un vidéo d’un étranger qui complimente sa bouffe. C’était assez sympathique.
Je m’éloignais maintenant de la Chine de l’est, riche, dynamique et développée pour me diriger vers l’arrière-pays sinistre et triste du nord de la province d’Anhui. Quasiment tous les buildings ont été abandonnés, envahis par les mauvaises herbes, la rouille et la pourriture, et les champs sont secs. Le genre d’endroit tout croche d’où tout le monde qui a plus que trois neurones et un brin d’ambition décalisse pour aller chercher des opportunités dans une grosse ville. J’habitais dans la province d’Anhui il y a quelques années, dans la capitale Hefei, et j’étais jamais allé dans la région que je m’apprêtais à traverser. J’avais demandé à mon buddy plus tôt s’il savait quelque chose et y a répondu “Y a une ville qui s’appelle Bengbu, c’est un nom rigolo, mais c’est tout ce que je sais. J’ai jamais été au nord de Hefei. Les gens vont généralement dans le sud de l’Anhui, là où y a les montagnes”. C’est pas mal mon expérience aussi.

Une chose à propos du nong profond est qu’y a moins de règles et qu’elles sont rarement appliquées. Juste après la ville de Suzhou (Sùzhou, à ne pas confondre avec son quasi-homonyme beaucoup, beaucoup, beaucoup moins insignifiant Sūzhou) j’ai essayé de pogner une chambre d’hôtel, et à ma grande surprise, ça a marché. Je pensais que les chances qu’un étranger ET un chien soient acceptés seraient si négligeables qu’elles pourraient aussi bin être nulles, mais après avoir dit à la madame confuse pour la quinzième fois que j’ai pas de calvince de numéro de carte d’identité chinoise, elle a haussé les épaules, a jeté un coup d’œil à mon passeport, a murmuré à plusieurs reprises “J’comprends pas ce que ça dit” et m’a amené à la chambre.
“Le chien y va dormir où?”
“À terre”, mentis-je. Pas question qu’il laisse ça arriver, c’est un prédateur des grandes plaines, mais un qui est habitué au confort. Je vais lui laver les pieds avant qu’il se couche sur le lit à côté de moi.
La chambre ne coûtait que 60 yuan (une douzaine de piasses canadiennes) et elle était petite mais propre, et c’était de style motel, avec la porte donnant directement sur l’extérieur, donc je pouvais parker ma voiture juste en face. Bon deal. Y a à peine deux semaines, j’ai payé le double pour un lit de dortoir à Shanghai, disons que c’est pas la même économie dans la métropole pis dans ce trou perdu.
J’ai pris une bière frette dans le frigidaire pis je me suis promené le long de la route jusqu’à ce que j’arrive à un groupe de magasins. C’était super tiers-monde, mais c’était quand même plus beau que les plus beaux coins de l’Inde que j’ai visités il y a quelques années. Le monde qui racontent des niaiseries au sujet de l’Inde surpassant un jour la Chine en tant que grande superpuissance asiatique sont complètement séniles.
J’ai acheté des plats froids (tofu sec, cacahuètes, concombres marinés) et une cuisse de canard, pis chus allé au motel et j’ai fait chauffer une partie du bouillon de poulet que je transportais depuis que j’avais quitté la maison, en alternant entre ma glacière et le congélateur de mon ami à Nanjing. J’ai écrit mon journal puis je suis allé me coucher à 21 heures.
Plus de détails (en angla) sur https://john-guotong.blogspot.com/

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