La fois que j’ai été garçon d’honneur à un mariage indonésien

L’été 2012 s’était bien déroulé, et pour ce qui est de mon addiction au voyage, j’avais reçu mon fix, pas de doute. J’avais commencé mes vacances avec quelques jours en Suisse pour visiter mon cousin qui y étudiait, suivi d’une visite de Berlin et de Halle en Allemagne de l’est, pour aboutir à Prague et Trutnov pour le festival Obscene Extreme. De là, j’ai pris l’avion vers le Caucase (avec une escale de trois jours en Ukraine) et j’ai combiné l’Arménie, la Géorgie et la Turquie.

Au milieu de l’été, j’ai reçu une invitation à un mariage en Indonésie. Hmmm, pourquoi pas? C’est en chemin vers mon chez-moi en Chine, non? Bon, pas tout à fait, mais j’ai checké les prix des vols et le timing, et c’était faisable. J’ai donc un peu écourté mon séjour chez les Turcs et acheté un billet Istanbul-Singapour-Jakarta pour la mi-août.

J’avais quelques jours devant moi, et je suis allé les passer à Bandung et Bohor, deux villes voisines sur la très densément peuplée île de Java. J’avais trouvé un hôte de CouchSurfing pour chaque et ils étaient de très bonne compagnie, c’était ma première fois en Indonésie et le pays me plaisait pas mal, les petits bonhommes bruns étaient sympathiques et accueuillants, la bouffe était savoureuse, les paysages tropicaux étaient jolis et je dépensais pas plus qu’une petite poignée de piasses par jour.

Ensuite, je suis retourné à Jakarta, et je me suis fait dire de m’assurer de prendre le bon autobus pour pas me ramasser à une autre station et avoir à traverser la métropole gigantesque et constamment jammée. Ça faisait déjà quelques années que j’habitais en Asie et j’avais déjà été à quelques-unes de ces capitales calissement trop grosses, mais tout le monde me disait que Manille et Jakarta c’est pas mal les pires à naviguer.

Donc mon autobus arrive un bel après-midi d’août, et le cousin de Diti vient me chercher avec une camionnette. Il parle pas trop anglais mais m’a reconnu dans la foule, vu que je mesure environ huit pouces de plus que l’Indo moyen et que je suis un peu plus blafard. Il me conduit à une grosse maison dans un quartier tranquille, où quatre Français de mon âge ou un peu plus jeunes sont assis en train de manger des fruits et du take-out dans des contenants en styromousse. On se fait les présentations, et je me joins à eux.

Donc qui sont les jeunes mariés? Quand j’habitais à la nordique et saoulonne ville de Harbin un an auparavant, à force de traîner dans les bars je m’y étais fait pas mal de chums dans la communauté étudiante étrangère. Des Russes, des Africains, des Coréens, des Arabes et Iraniens, tout ça. Il y avait assez peu d’Occidentaux en fait, à part un petit groupes de Français qui étaient là pour un programme d’échange avec une université à Clermont-Ferrand et sont pas restés si longtemps, mais assez pour qu’on vire quelques brosses ensemble en gang, avec les Africains francophones. Donc l’un d’eux avec lequel je me suis lié d’amitié se nommait Romain, gaillard de petite stature avec des dreads, avec le regard pétillant d’enthousiasme devant sa vie de voyageur qui commençait, et dans notre gang hétéroclyte il y avait aussi Diti, une Musulmane toujours encapuchonnée et vêtue de manches longues, qui conséquemment sortait du lot pas mal en plus de ne pas toucher à la bière qu’on buvait au gallon.

Une chose a mené à une autre, et après un voyage dans le sud de la Chine ensemble, faut croire que Diti et Romain ont bien cliqué, parce que là au moment où je viens d’arriver à Jakarta, une quinzaine de mois plus tard, ils sont sur le point de se passer la bague au doigt. Romain a même appliqué et obtenu un poste dans une université à Singapour pour être proche d’elle, et là les autres Français qui sont là sont des chums de Romain, étudiant ou travaillant à Singa-makes-you-feel-poor avec lui.

Éventuellement, il vient nous visiter, et on se fait un gros bro hug. Il a coupé sa tignasse de jeune hippie, voulant donner une impression de respectabilité j’imagine. Je lui demande, en prenant une gorgée de la bière que j’ai achetée au 7-eleven: “Faque comme ça, t’es rendu un Musulman?”

On discute un peu de la chose, comme quoi il a trouvé la foi, pensait s’ennuyer de la binouze mais que c’est pas le cas vraiment, et me donne un peu trop de détails sur sa circoncision. Des fois quand tu bandes involontairement durant la nuit ça peut déchirer les points de suture et faut aller en refaire, le problème c’est qu’à chaque fois le docteur doit aller plus loin pour trouver de la peau intacte, ce qui augmente le risque que ça cicatrise pas. Je squeeze les cuisses.

Bien vite il faut qu’il retourne dans ses quartiers, pour être prêt pour le lendemain. Ensuite, une autre madame, une tante ou cousine de Diti peut-être, vient nous livrer les vêtements qu’on portera en tant qu’accompagnateurs du marié. À l’instar de la cérémonie de mariage même, ces costumes sont un hybride occidental et traditionnel indonésien: on porte une jupe masculine en tissu brodé d’ornements qui nous descend aux chevilles, un veston bleu marin à boutons avec un vague air d’uniforme militaire, et un petit chapeau cylindrique qui matche la jupe. Aux pieds, on a des espèces de souilers d’Aladdin en cuir. Chacun son tour on enfile nos suits, et on se marre en se regardant les uns les autres.

Le lendemain en milieu de matinée, une vanne vient nous chercher pour nous conduire à un bloc d’où le mariage aura lieu. On rencontre les parents de Romain et sa soeur adolescente, ainsi qu’un jeune mec local aux cheveux frisés, étudiant le français à l’université et engagé comme interprète. Puisque je suis le plus vieux de la gang, on m’a demandé d’être le représentant de la famille de Romain, et il m’explique mon rôle. Lui et moi on va marcher à la tête de la colonne, Romain et sa famille derrière nous, ses chums et quelques autres invités fermant la marche. Après avoir marché jusqu’à l’entrée, il faudra que je lise un texte où je nous présente, parle de la raison de notre venue, et demande l’honneur d’entrer. Ensuite le frisou va traduire en bahasa.

Chus un peu nerveux alors qu’on approche du gros portail orné. Le père de Diti est là, un gros monsieur chauve en longue robe toute brodée d’or, l’air sévère, entouré d’une autre gang de monsieurs indonésiens qui me regardent fixement comme un intrus.

Je sors ma feuille et lis d’une voix qui se veut forte et formelle, en changeant des petits bouts sur le fly qui font pas trop de sens, vu que le gars qui l’a écrit, même si son français est assez champion, le parle pas comme langue maternelle. Ensuite frisou déblatère en leur langue bizarre, et après une petite pause, on se fait inviter à entrer.

On est mainenant dans une cour intérieure, un genre de jardin assez incroyablement décoré, avec des statues, des fontaines, des plantes exotiques partout. La cérémonie est en plusieurs volets, un bout on est à l’intérieur, et Romain apparaît, habillé comme un genre de prince, tout en blanc. Il fait sa conversion officielle à l’Islam à ce moment, avec un ayatollah ou whatever son titre, et lisent des passages du Coran. Il doit les répéter phonétiquement en arabe, et plus tard il me dira que ça veut dire “je reconnais qu’il n’a qu’un seul dieu, et que Mahomet est son prophète”.

Ensuite il y a un long processus de signature de contrats, avec le père de Diti et un bonhomme du gouvernement. Remarquez que Diti a pas encore fait son apparition. Le tout est assez patriarcal merci, avec le père qui “donne” sa fille à son beau-fils, et quand c’est finalement terminé, Diti arrive finalement. Si la cérémonie à présent était assez luxueuse merci, bin on avait pas mal rien vu, la robe qu’elle porte est à couper le souffle, on dirait une boule disco couverte de pierres précieuses et de fleurs blanches. Des mots sont échangés et prononcés par le prêtre, les parents font des petits discours, les bagues sont glissées aux doigts.

Ensuite les tourtereaux vont se changer pour quelque chose d’un peu plus confortable, et le festin commence. Une troupe de musiciens commence à jouer des beats sur des gros xylophones en bois et on mange dans le jardin, après s’être servi à un buffet. C’est délicieux, mais comme le note le père de Romain, il manque un peu de vin. Un des Français échafaude un plan pour aller en chercher dans un dépanneur (l’Indonésie est à majorité musulmane mais l’alcool s’y vend) mais finalement on laisse tomber, mieux vaut respecter les coutumes de la place et éviter de froisser nos généreux hôtes.

Ça dure tout le reste de l’après-midi et la soirée, et même si chus plein, je retourne souvent me chercher un morceau de fruit frais ou un de ces snacks exotiques qui restent dans le buffet, tellement c’est bon. Je pense pas que j’aie jamais mangé de bouffe indonésienne avant d’y aller et je savais pas trop à quoi m’attendre, cette région du monde est capable du meilleur (Thaïlande) comme du pire (Philippines), culinairement parlant. Hé bien c’est excellent, avec beaucoup de racines et de nouilles de toutes sortes, relevé par l’usage omniprésent de sambal et autres sauces piquantes mais pas aussi dans-ta-face que chez nos amis les Thaïs. Beaucoup de mets et saveurs sont assez uniques, mais on sent aussi une forte influence chinoise et indienne par bouts.

Une bien belle expérience.

Le lendemain, on va manger toute la gang, les Français de Singapour, les deux familles proches, et moi, dans un restaurant un peu plus modeste. Je remercie à profusion le père de Diti et le félicite pour cette magnifique cérémonie, il me serre la main et en anglais simple il me dit que je serai toujours le bienvenu.

***

(Cinq ans plus tard, ma copine et moi on va visiter Diti et Romain lors de notre passage à Montpellier, dans le sud de la France, où ils habiteront alors. Diti parlera le français presque parfaitement, ils auront une adorable et intelligente petite fille de trois ans qui aime les bandes dessinées, et six chats. On passera plusieurs jours très cool ensemble. Je me sens choyé d’avoir autant de chums de par le monde et qu’ils soient aussi hospitaliers.)

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