L’autre jour, comme je fais quasi-hebdomadairement, j’écoutais le podcast Metal Minded, cette émission en direct sur YouTube à thématique “musique du diable” et à laquelle je participe à l’occasion comme chroniqueur ou avec des vlogues sur la vie en Chine et la scène musicale underground locale. L’invité en entrevue était Alex Leblanc, ex-lutteur professionnel et vocaliste de death metal légendaire que j’ai connu dans l’temps avec Atheretic et Point Blank Rage, et qui a aussi pris les rênes de Neuraxis en plus d’autres projets, notamment Fracturus, formation recrue qui a sorti un EP de feu début 2022.
Alex s’est retrouvé sans emploi au début de la pandémie et a commencé une chaîne YouTube où il publie des “vidéos de réaction”, en gros il se filme en train de regarder des dessins animés japonais bizarres et fait des faces. Pourquoi il y a un marché pour de telles choses, fouillez-moé, mais éventuellement le brave Alextrême, avec son charisme et sa dédication à sortir un vidéo par jour, a vu sa chaîne recevoir plusieurs milliers d’abonnés et un nombre respectable de spectateurs qui assistent à ses livestreams, au point qu’il reçoit un revenu de la part de YouTube et de ses “patrons”.
Donc l’entrevue menée par Yolin et Simon de Metal Minded, en plus d’aborder les sujets habituels qui sont la bière de microbrasserie, les blagues grivoises et bien sûr le gros death metal qui torche, a été beaucoup centrée sur la nouvelle vocation d’Alex. Celui-ci parlait de comment YouTube veut en tout premier lieu des views et par conséquent récompense les créateurs prolifiques, de l’importance de sortir des petits clips en plus des podcasts de deux heures de temps, de la cross-promotion sur des plateformes telles qu’Instagram ou TikTok, et suggérait fortement aux boys de Metal Minded de pousser pour atteindre le millier d’abonnés, ce qui confère le statut de partenaire YouTube et ouvre la porte à une meilleure place dans le fameux “algorithme” et un revenu en publicités, très faible au début, mais avec un pouvoir de croissance exponentiel.
Le tout était très intéressant en soi, et en tant que créateur avec une faible et stagnante présence internet, je prenais des notes mentales. J’ai moi-même une petite chaîne YouTube et je brainstorm des idées pour supplémenter ce blogue, et ce serait bien de recevoir plus que quelques dizaines de visionnements. Et quant au blogue même, des fois je relis des vieilles histoires et sans vouloir me déboîter l’épaule à force de me taper dans le dos, je me dis que certaines sont des chefs-d’oeuvre de littérature de voyage, bien ficelées, dénotant une culture générale profonde, un goût de l’aventure, des destinations uniques et un sens de l’humour qui fait carton. Alors comment ça que autres que quelques petits balbutiements, j’ai pas reçu l’attention que (je pense que) je mérite?! Et que pendant ce temps-là, des p’tites flounes qui écrivent depuis cinq fois moins de temps que moi, qui sont allé à dix fois moins de places et qui ont vingt fois moins à dire ont pignon sur rue dans la blogosphère?!?!?!
C’est là qu’on voit que même si on vit pour son propre art et qu’on prétend se foutre des autres, bin, personne n’existe dans un vacuum et les comparaisons sont inévitables. De là, on peut soit sombrer dans le déni, l’amertume et la jalousie, ou prendre un peu de recul et regarder les choses pour ce qu’elles sont.
Peut-être que le blogue de la p’tite floune est bourré de fautes et les histoires sont fades, mais elle poste sur un horaire qu’elle suit quasi à la lettre.
Peut-être que ses articles les plus lus et partagés ont aucun intérêt pour quiconque a déjà voyagé ne fut-ce qu’un peu, mais c’est ça que le monde veut, et qu’en fouillant sur son blogue il y a des histoires de hiking et de voyage hors de la track enterrées sous ses “Cinq Choses À Faire À Chiang Mai!” et “Dix Plus Belles Villes En Europe!”
Peut-être que c’est écrit en clickbait et en listicules et en l’estie d’écriture SEO ligne-par-ligne au lieu de des paragraphes comme en vrai français, mais justement c’est ça qui aide son reach.
Peut-être qu’elle a une présence active pas juste sur les “grosses” plateformes, mais sur les plus petites aussi, et qu’elle se tient au courant des développements dans le domaine.
Peut-être que son blogue est beau à regarder, organisé, et a été bâti par un pro (qu’elle a payé) au lieu d’être un template gratuit de WordPress.
Peut-être que son joli minois d’universitaire et ses photos en bikini en train de faire du yoga soigneusement placées aident, comparé à être un misanthrope mâle de 36 ans qui montre rarement sa face et qui postait pseudonymement pendant un bout, au lieu de se bâtir une brand personnelle inexorablement liée à son produit.
Peut-être que ses photos sont professionnelles et bien retouchées au lieu d’avoir l’air d’avoir été prises par une vieille caméra point-and-shoot sans aucune considération pour le cadrage et l’éclairage.
Peut-être que si tu lui demandes, elle va te dire comment elle a passé 18 mois avec 20 abonnés sur Instagram, mais continuait d’écrire, de filmer, d’éditer et de publier.
Alors ouin…
Mais à y penser…
Au fond je suis bien heureux comme ça.
Comme j’ai dit ci-haut, je suis plutôt fier de l’ensemble de mon oeuvre. J’ai un parcours unique et je suis content de le partager, même si mon audience potentielle est plutôt nichée. Ça c’est quelque chose que je savais au départ, en choisissant de publier en français, même si j’écris aussi bien en anglais, et qui plus est en français parsemé de jargon québécois. Et aussi en adoptant une attitude très “sans filtre”, en me censurant très peu et en laissant des vulgarités, des références ouvertes et honnêtes envers la drogue, sexe et actes illégaux, et surtout, dans le climat social ethnomasochiste d’aujourd’hui, en pointant les choses telles qu’elles sont en ce qui a trait à certains aspects peu savoureux de cultures et sociétés non-occidentales (tout en rendant à César ce qui revient à César, mais ça compte peu ou pas, tout ça, on le sait bin).
J’ai quelques lecteurs assidus ou occasionnels, qu’ils viennent de la plateforme WordPress, de Facebook, d’Instagram ou que ce soient des connaissances de la vraie vie. Je suis très reconnaissant qu’ils passent quelques minutes ici et là à engager avec ma shit, et même si il n’y avait qu’une seule personne qui lisait ça, ça vaudrait le coup. Merci à vous (toi?), donc. Je vais continuer à renouveler le 60 piasses aux deux ans pour l’adresse .com, et écrire semi-régulièrement.
Et si tout ça a l’air d’un gigantesque cope, de se vautrer dans la médiocrité et de juste accepter passivement de pas vouloir prendre les mesures nécessaires pour accéder au niveau suivant, bin vous manquez le point. Oui, il y a une place pour l’esprit fonceur et de mettre la main à la pâte quand c’est le temps, mais il faut également être réaliste et pas tomber dans le piège de la “hustle culture” non plus. À l’ère numérique où on vit, une trallée de zoomers et milléniaux sombrent dans la dépression et le complexe de l’inadéquat parce qu’ils sont bombardés de propagande (fausse ou exagérée ou vraie) de ces gourous de la productivité à tout prix, au lieu de vivre leur vie et d’apprécier les choses pour ce qu’elles sont.
Pendant un certain temps, je travaillais fort pour essayer de développer une business en ligne, au prix de nombreuses heures, maux de tête, manque de sommeil (décalage horaire entre moi et clients potentiels) et investissements financiers, avant de me rendre compte que c’était pas pour moi, et que le marketing numérique ne m’intéressait pas une miette, pas une seule. La discipline est plus importante que la motivation, mais quand la motivation est à zéro, tu te demandes ce que tu calisses là, et si tu devrais pas consacrer ton temps (limité) à autre chose plus enligné avec tes intérêts et aptitudes. Depuis, je suis très satisfait avec ma job de jour et mes temps libres où je suis pas constamment en train de me demander si je devrais pas être en train de gosser avec un Clickfunnel ou spammer des gens sur LinkedIn.
Idem avec l’exercice physique. J’aime lever de la fonte, faire du sport, pratiquer les arts martiaux, me déplacer en vélo ou à pied, mais j’aime aussi le poulet frit et passer des après-midis à la microbrasserie avec mes chums. J’aspire à être un dude en santé qui a pas l’air d’un beanbag et qui est le moindrement capable de se défendre ou de grimper une colline sans vomir, et je me calisse bin de pas avoir l’air de GSP quand chus en chest.
Et pour en revenir à la musique metal, bin sûr esti que le groupe de death metal moyen pourrait vendre plus d’albums et de billets si ils changeaient leur son pour de quoi qui sonne comme Linkin Park. Mais pourquoi le feraient-ils? Pourquoi il y a des milliers de groupes de death metal dans l’underground? Parce que c’est ça qu’ils aiment écouter, c’est ça qu’ils aiment jouer, et c’est ça que leur public (autant niché et limité qu’il soit) veut entendre. Et moi, j’aime écrire des histoires de voyages parsemées de références connes et observations culturelles honnêtes, pas des listicules ou des vidéos TikTok. Faque, comme Kéveune à sa fête, je vais continuer comme çô.
C’est très bien comme ça. Je ne changerais rie si j’étais toi.
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