À force de voyager et d’interagir avec des gens pour des longs ou très courts moments, certains nous marquent et on y pense encore longtemps après. Vous avez pu lire à leur sujet si vous avez fouillé un peu dans mes vieilles histoires. Et j’imagine que c’est réciproque aussi, étant un étranger souvent assez visible et d’apparence excentrique passant dans leur monde hors des sentiers touristiques battus, j’ai dû souvent marquer l’imaginaire de monsieur et madame tout-le-monde de ces coins.
Donc après une petit loop au nord-ouest de Ulaan Bator qui nous a emmenés jusqu’au Lac Khovsgol, mon pote Nicolas et moi on se dirige vers la Chine. Un train s’y rend, et on décide d’arrêter pour une nuit à la petite ville de Sainshand, la seule en chemin. Dès que le train quitte la capitale, on est dans le désert, avec très peu d’évidences de présence humaine. La Mongolie est le pays le moins densément peuplé au monde, et à part Ulaan Bator, qui feel comme une assez grosse ville et où quasiment la moitié du pays habite, le reste c’est des montagnes, des plaines de gazon, et du désert. La semaine d’avant on a passé par Mörön et Erdenet, respectivement la troisième et la deuxième plus grosse agglomération du pays, et elles se traversaient à pied en une demi-heure, juste quelques blocs de buildings rectangulaires communistes laittes en béton délabré entourés de tentes et de petites maisons.

Un moment donné un peu après le départ du train, je me rends aux toilettes, et en revenant je passe à côté d’un petit garçon, il doit avoir trois ans. Il a les mains sur la bordure de la fenêtre et essaie de regarder dehors mais il est trop petit. Je le lève par les aisselles et le monte jusqu’à temps que ses pieds soient sur la bordure, et il fixe le paysage de désert monotone pendant une minute avant de lâcher un grognement mongol quelconque. Je le repose à terre et il s’en va, moi aussi je retourne à mon lit.
Après un bout, on est enveloppés d’une noirceur totale, avec une rare lumière au loin à toutes les quelques minutes. On se croirait dans un bateau au milieu de la mer, on aurait la même vue. Je suis en train de lire mon Kindle, et je vois le petit gars passer dans le corridor. Il revient, et fait un autre aller-retour avant de m’apercevoir et de s’arrêter. Son petit visage carré s’illumine d’un sourire et il pointe la fenêtre avec excitation. Il me parle et évidemment je comprends pas un maudit mot, mais ce qu’il veut est clair. Je trouve ça cute alors je descends de ma couchette et je vais l’aider à regarder le paysage pour une minute ou deux. C’est le rôle auquel il m’a assigné dans sa vie.

Encore plus tard, ils ont éteint les lumières dans le wagon-lit, et je suis enroulé dans ma couverture, sur le point de m’endormir. J’entends une voix d’enfant, et dans la pénombre je le vois là, à pointer la fenêtre. Coudon, y est pas couché? Sont où ses parents? Je lui dis non et fais un signe de la main, mais il persiste. Il est à l’âge où il se voit comme le centre du monde, et je me demande si il va péter une crise.
“Non, va-t-en! Go away!” Je lui parlerais en mongol mais j’en connais pas un seul mot, et j’arrive à peine à croire que c’est une vraie langue.
Au lieu de ça, il grimpe l’échelle et monte les quelques barreaux. Rendu en haut, il lève son poing et l’abat de toutes ses forces dans mes gosses.
“AYOYE! CALISSE DE P’TIT MONGOL!”
Nicolas, sur la couchette d’en face, est crampé de rire. Moi je trouve pas ça drôle pantoute au moment-même, son poing a bin beau être gros comme un oeuf, il a trouvé sa cible au travers de ma couverture.
“OK OK sti, une dernière fois, après ça tu me sacres la paix”
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