Après quinze misérables heures d’autobus (deux fois plus que ce que ça aurait pris dans un pays qui a de l’allure), j’arrive à Tabora, au centre de la Tanzanie. Il fait déjà noir depuis un bout. Je traîne ma carcasse toute mâchouillée jusqu’à la rue principale, et je remarque un carton avec ZIMMER d’écrit dessus dans la fenêtre d’une maison. Je me rappelle de mes cours d’allemand au Cégep et que ce mot veut dire chambre, donc je cogne au portail pour enquérir.
Une madame ouvre et me fait signe de rentrer, et j’arrête drette dans mes pas, embarrassé, quand je vois une adolescente avec un tits gros comme un pamplemousse qui sort de sa robe multicolore et un bébé qui le suce avec appétit. Elle sourit et semble pas trop dérangée que je sois là. Tu tombes souvent sur des femmes qui allaitent en public en Afrique, et je dois dire que j’ai rien contre du tout, au moins une chose que j’ai en commun avec les féministes intersectionnelles.

Elles parlent pas anglais, mais avec le mot Zimmer et les rudiments de swahili que j’ai ramassés dans les trois dernières semaines, on établit une communication. La chambre est petite et spartiate mais elle coûte juste 5$, ça me convient. Je prends une douche et j’essaie de lire un peu mais l’ampoule nue qui pend du plafond est trop blafarde, alors je me couche tôt. À force de me ramasser dans des endroits ruraux où y a rien à faire le soir ou alors des endroits urbains où tu veux pas sortir une fois la noirceur tombée à moins de vouloir te faire stabber, et aussi à cause des transports qui partent de bonne heure, je suis devenu un lève-tôt depuis que je suis arrivé sur le Continent Noir.
La raison de ma venue dans ce bled est que c’est un des quelques arrêts sur leur ligne de train est-ouest. J’aime les trains. On me dit que la gare est un peu en dehors de la ville, je me rends là à pied, environ une heure sur une route bordée de champs et d’arbres, une marche bien plaisante. Au bout, il y a une petite bâtisse avec TABORA TRAIN STATION sur une pancarte Coca-Cola, le genre que tu imaginerais devant le Snack-Bar Chez Raymond. J’arrive de Chine, où les gares sont énormes et futuristes, alors je souris devant cette petite chose.

Je passe en arrière, et mon sourire disparaît d’une shot. Il y a, sans niaiser, au moins une centaine de gens, tout éffouairés sur des piles de bagages tout le long du quai. Chacun d’entre eux me regarde fixement, et à leur air hagard, ça doit faire longtemps qu’ils sont là. On dirait un camp de réfugiés. Une vingtaine de bonhommes font la file au comptoir de billets, je me joins à eux.
La file bouge à la vitesse d’une tortue. Un moment donné je sors ma montre et je chronomètre combien de temps ça prend pour servir un client: sept minutes. Gériboire de calisse.
Faque je fais quelque chose que j’ai appris qui fonctionne, mais qui me fait me sentir mal à chaque fois: je vais encaisser ma ration quotidienne de privilège blanc. Je skip la file et je cogne à la porte, un monsieur confus ouvre, et je lui dit que je veux un billet pour Kigoma. Je m’attends quand même un peu à ce qu’il m’envoie chier et me dise de faire la file, mais il me fait entrer et en dedans de 45 secondes j’ai conclus ma transaction et j’ai mon billet (écrit à la main).
Je sais à cause d’un horaire que j’ai vu sur internet que le train passe deux fois par semaine, les dimanches et mercredis. Je demande pour être sûr.
“Maybe tomorrow. Maybe Wednesday.”
“What? You don’t know when the train is coming?”
“No. Maybe Thursday also.”
Merveilleux…
Je le remercie et je sors, mais je suis quand même en crisse contre eux pour la façon dont ils traitent les autres en train de poireauter dehors. Je me sens un tout petit peu poche d’avoir “triché” mais c’est quand même 1000 fois mieux que la perspective de perdre tout mon calisse d’après-midi là.

Faque ma mission étant accomplie, je retourne à Tabora et je flâne de rue en rue, arrêtant manger ou boire une ‘tite bière ici et là. Je passe par le petit musée municipal et par un marché, et des fois un bonhomme du coin me fait la jasette, curieux de voir un mzungu. J’aime bien la vibe, surtout comparé à Arusha et Zanzibar avec leurs estis de crosseurs achalants qui te laissent pas tranquille plus que deux secondes.
Le lendemain, je retourne à la gare, cette fois avec mes bagages. Il y a un petit hôtel pittoresque juste à côté qui est juste un peu plus cher que la chambre où je restais, alors je déménage là et je vais m’informer si il y a des updates quant à l’heure d’arrivée du train. La pile de réfugiés sont encore là, dans la même position, et je m’attends quasiment à ce que la file pour les billets ait pas bougé, mais une nouvelle vingtaine de pauvres cloches sont là, prêts pour une journée de suckitude. On me dit que tout ce qu’ils savent est que le train est parti de Dar-es-Salaam la veille au soir, et de revenir m’informer en fin d’après-midi. Ce que je fais, un peu buzzé de toutes les bières que je me suis clanchées en regardant l’équipe de Tanzanie se faire défoncer par l’Ouganda pour un match de qualif de la Coupe du Monde, sur une TV grichante avec une gang de gens du coin qui devenaient de plus en plus tristes à chaque fois que les Cranes ougandais scoraient contre eux.

Le chef contrôleur est là, et il m’invite au bureau du deuxième étage pour une tasse de thé. J’accepte volontiers. Je ricane en voyant à quel point leur opération est low-tech, la seule machine dans la place est un téléphone à roulettes, le reste se fait au crayon à mine. Il y a une carte du pays sur le mur avec les deux lignes de train, deux de plus que la majorité des pays africains. Son assistant passe un coup de fil qui prend une éternité, et il me dit que le train sera en gare à 6 heures du matin. Je les remercie pour le thé et retourne dans la rue. Une gang de gens sont en train de dérouler des tapis et d’empiler des gros plats de bouffe au centre, ce sont les musulmans du coin, sur le point de briser leur jeûne du Ramadan. Ils me font signe et m’offrent de me joindre à eux. Super bon monde.
Je suis en train de rêver dans mon lit, quand soudainement j’entends un CHOO-CHOO à haut volume et un bruit de freins aigu. Je m’habille en vitesse et je me précipite dehors, convaincu que j’ai mal programmé mon alarme ou que j’ai dormi tout drette, mais il fait encore nuit noire. Je check ma montre, 3 heures. What the hell?!
Le train est là, et il y a des centaines de gens sur la plateforme. On pourrait même dire que c’est noir de monde (hihi!), avec les passagers qui débarquent, ceux qui embarquent et ceux venus accompagner ou chercher les membres de leur famille. Je circule dans la foule dense encore à moitié endormi, et je croise trois dudes blancs qui semblent aussi confus que moi, on se fait le signe de tête habituel.
Je sais que le train risque d’être là pendant des heures et je considère presque retourner me coucher, mais au lieu je m’assis sur un banc avec une gang d’Africains. Il fait un peu frisquet alors j’ai enfilé mon coupe-vent, les gens du coin sont enmitouflés dans des couvertures épaisses et grelottent leur vie. Les trois dudes blancs se joignent éventuellement à nous, un d’eux parle swahili comme un champion et impressionne la galerie en plus d’accumuler des infos sur le départ du train. Ils sont suisses, de la partie qui parle allemand, trois vieux chums d’enfance: un travaille dans un hôpital à Dar-es-Salaam (d’où sa maîtrise du swahili), un est au milieu d’un long voyage autour du monde, et le troisième voyage pas beaucoup mais s’est joint à ses amis pour aller bourlinguer un peu à la dure en Afrique.
Après une éternité et demie, on se fait dire d’embarquer. Les trois Suisses vont dans leur wagon première classe, moi je vais avec les paysans. Je prends place sur mon siège et je suis tout fébrile, mais on reste en gare pendant plus que deux autres fucking heures. Il faut avoir une patience à toute épreuve pour voyager dans le tiers-monde, ça prend bin trop de temps pour faire quoi que ce soit et ça explique pourquoi leur développement est aussi lent. Je sors une canne de bière de mon sac, rendue toute chaudasse, et je la débouche pour célébrer le départ.

Après la décolonisation, la Tanzanie s’est enlignée avec le Bloc Communiste, un gamble qui semble idiot avec le recul mais à l’époque il y avait pas moyen de le savoir. Le train a donc été bâti par les Chinois, et je trouve absolument marrant de voir que c’est le même modèle que les vieux crisses de trains dans lesquels j’ai passé des centaines d’heures à visiter les quatre coins de la Chine avant qu’ils se fassent supplanter par les TGVs. Il y a même des étiquettes et des panneaux en chinois. La différence majeure est que le train a pas été entretenu depuis les années 60, et tout est rouillé au coton ou tombe en ruine. Il y a des craques dans les fenêtres, des springs qui sortent des sièges, des racks à bagages manquants, et une grosse flaque d’un liquide noir qui coule d’un tuyau à côté de la porte. Je me demande si ça pourrait pogner en feu et nous transformer tous en charcoal. Le train doit quand même être dans un certain état de marche, après tout il a voyagé de la côte Atlantique et est arrivé à temps.
L’état tout déconcrissé du train passe de charmant à fatiguant calissement vite. La suspension est de la grosse marde, et on se fait bardasser de haut en bas comme dans des montagnes russes. Le chambranlage fait tomber une grosse boîte pesante en plein sur ma tête, me twistant le cou de manière non-naturelle et m’extirpant une litanie de sacres bien sentis. J’essaie de lire pour passer le temps, et ça me donne mal à la tête.

On arrête au milieu du nowhere, et des centaines de gens sortent de la forêt. Certains passagers sortent et d’autres entrent, la majorité ont juste l’air curieux de voir le train mais d’autres transportent des paniers contenant de la bouffe sur leurs têtes et se promènent de fenêtre en fenêtre. J’achète une galette, du poulet frit et des fruits, puis je me rends au wagon-restaurant. Les plateformes de métal entre les wagons sont mangées par la rouille et ont des gros trous béants dedans, quand elles sont pas simplement juste pas là. Je vois les rails passer en dessous, il faut que je fasse un grand pas synchronisé avec les soubresauts de ce train tout croche et surtout que je tombe pas, ce qui serait une mort certaine. Le wagon-restaurant est désert alors j’ai une table pour moi tout seul et mon festin. J’achète une bière au monsieur derrière le comptoir, elle est chaude mais chus rendu habitué.

On continue lentement vers l’ouest, arrêtant dans des clairières ici et là. Un moment donné je sors me dégourdir les jambes et je me fais assaillir par une gang de petits enfants qui chantent “Mzungu, mzungu, how are you?” L’un d’eux essaie de gratter mes tattoos. Un des Suisses est pas loin, dans la même situation, nos regards se croisent et on part à rire. Il m’invite à me joindre à eux en première classe, il y a une place dans leur cabine 软卧 à quatre lits. Je vais chercher mon sac et je fais ça, ça fait passer le temps un peu plus vite et je fais même un petit somme sur un des lits du haut.
On arrive à Kigoma et on va à un hôtel dont ils ont l’adresse, un peu en dehors de la petite ville, sur le bord d’un lac et avec un restaurant de barbecue en face où on va bouffer des grandes quantités de viande. Le lendemain, ils continuent vers le Congo, moi je vais visiter les chimpanzés.
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