Fes, au Maroc, est un des endroits les plus cool où je suis allé de toute ma vie. Quand tu pénètres dans l’enceinte de ses murs, tu as l’impression de remonter quelques centaines d’années en arrière, à t’imaginer comme un marchand qui vient de traverser le désert avec une caravane de chameaux et qui s’en va vendre ses cossins au marché. Tout est brun ou beige partout, avec une avalanche de visions pittoresques, de sons et d’odeurs.

Les petites ruelles étroites qui serpentent entre les buildings sont pas vraiment organisées d’aucune façon, et c’est impossible de pas se perdre. Google Maps répertorie rien, la vieille ville est juste un gros ovale gris avec un point bleu qui te dit où tu es, et c’est comme ça qu’on s’oriente, on sait la direction générale à emprunter pour se rendre à notre hôtel, et une fois rendus proches, on reconnaît au moins quelques points de repère, notamment le petit monsieur super souriant à qui on achète un jus d’orange fraîchement pressé à chaque fois on passe devant son kiosque.

On pourrait passer des heures à se balader dans ces petites rues, et c’est ça qu’on fait. C’est “touristique” dans le sens que Fes est pas vraiment hors du sentier battu marocain et qu’on croise des visiteurs blancs ou jaunes en petits groupes régulièrement, mais c’est pas un cirque non plus, il y a vraiment des gens qui habitent là et font leur train-train quotidien. Et on se fait pas harceler, insulter ou arnaquer comme à ce trou de marde qu’est Marrakech.
Après un énorme souper de tagine de mouton et plein d’autres plats locaux, on prend une marche de digestion et on tombe dans le quartier des tanneries de cuir. On prévoyait aller les visiter le lendemain anyway mais tant qu’à être là… Il y a une ruelle encore plus étroite que les autres et au bout je vois de la lumière, on l’emprunte et on arrive, un peu à ma surprise, à une grande place ouverte avec des pits ronds. Même si il est rendu tard, pas mal de bonhommes sont encore à la tâche. Certains nous regardent pendant une seconde et continuent leur travail, pas trop l’air affectés par notre présence. Ça nous donne un genre de feu vert pour continuer à s’aventurer là, je me sens un peu comme un intrus mais je suis juste trop curieux.

Ma copine se pince le nez, et c’est vrai que ça schlingue en simonaque. Imagine des toilettes d’autobus voyageur où des milliers de gens ont pissé, et c’est pas mal cette odeur d’ammoniaque à l’état pur qui flotte. Je suis en gougounes, et j’essaie tant bien que mal d’éviter les flaques.
On erre dans la ruelle, et deux bonhommes viennent nous parler, un vieux et un jeune. Ils demandent si on veut visiter, je réponds en demandant “C’est pas fermé?” et ils disent qu’ils travaillent là et peuvent nous faire entrer et nous montrer les lieux. Je suis légèrement sur mes gardes, le Maroc est reconnu pour ses arnaques (surtout ce pustule rempli de SIDA qu’est Marrakech, mais les autres endroits de la track touristique aussi à un certain niveau) mais ces deux gars sont habillés de la même façon que tous les autres ouvriers de la tannerie et ont pas vraiment le profil de la sangsue qui gagne sa pathétique vie sale à extraire le plus d’argent possible des touristes naïfs qui passent.
On décide donc qu’ils sont dignes de confiance et on les suit. Ils nous montrent les pits en forme de demi-sphère, remplis de liquide bouetteux, où les peaux de vaches macèrent. Ça les attendrit, à force d’un processus chimique, et après une durée de temps, des ouvriers les sortent de là avec un crochet et vont les étendre sur une poutre de bois avant de les battre à coups de bâton. Après avoir demandé et reçu la permission du monsieur, je grimpe sur la plateforme avec les pits pour prendre une photo, et j’entends un call en arabe derrière moi, probablement “Tasse-toé sti”. Un grand gaillard tout de muscles et nerfs, nu-pieds et en bédaine et vêtu juste d’un pantalon baggy, passe à la course à côté de moi. Il transporte une pile de peaux qui a l’air horriblement pesante, et rendu à la bordure, il la lâche à terre avec un FLAC assourdissant.

Dans les pièces qui entourent la cour extérieure, c’est le processus de finition qui a lieu, avec des gens qui coupent le produit intermédiaire en carrés et languettes et autres formes, et d’autres qui assemblent des manteaux ou des portefeuilles ou des sacs de toutes sortes. Ils sont encore de couleur pâle et mate et il y a encore une odeur un peu “sauvage” à tout ça, j’imagine il reste un processus de vernissage quelconque pour se débarasser du parfum peu appétissant et donner au produit fini le lustre auquel on est habitué.


On se fait accompagner à la sortie et on remercie nos guides improvisés. Ils m’ont pas demandé une cenne, mais je leur glisse un peu d’argent et leur dis d’aller boire un bon thé sucré, ils refusent mais j’insiste, finalement ils prennent mes quelques dirhams et on se serre la main.
On repassera là le lendemain, tellement c’était une place spéciale et photogénique. La plupart des clichés qui accompagnent ce texte datent de ce moment-là évidemment, quoique la visite de nuit en profondeur a eu un impact bin plus grand.
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