Après quelques jours passés dans l’intérieur de l’Ouganda, j’ai pris un taxi-moto jusqu’à Fort Portal, puis un bus pour Kampala. Autour de la station d’autobus c’est un fouillis total de poussière, de trafic et de bruit, mais chus quand même content d’être finalement de retour dans une grosse ville après tout le temps passé dans des zones rurales assez calmes. Une file de minivannes blanches parkées sur le bord du boulevard servent de transport en commun, je trouve laquelle va vers le quartier de Kamwokya, et je m’assis dedans. Un dude me dit où débarquer, et je pénètre dans le ‘hood.

Mon hôte de CouchSurfing Kibuuki (prononcé Chibuuchi) est assis dehors dans la rue avec quelques-uns de ses chums, à boire de la bière et du fort (whisky ou vodka) dans des petits sacs en plastique. J’achète une tournée de grosses cannes de bière Bell dans un magasin du coin, pis je me joins à eux. Ils sont tous des gros bonhommes trapus dans la vingtaine ou début trentaine, portant surtout des gilets de soccer, et il y a aussi un monsieur d’une cinquantaine d’années, qui se présente comme Blaze. Blaze?! Je pensais que c’est genre un surnom edgy qu’il s’est donné et j’étais assis là à me demander quel genre de bonhomme d’âge mûr ferait une chose pareille, mais un peu plus tard, il commence à me parler en français et j’apprends qu’il s’appelle en fait Blaise, pis qu’il a immigré du Congo en Ouganda quand il était jeune. J’ai ri de ma méprise conne.
Alors que je suis là à boire une bonne bière d’après-midi avec mes nouveaux chums africains, je me fais dire que Blaise a déjà tué un gars. Il y a une vingtaine d’années de ça, un tas de marde a violé une adolescente, Blaise lui a crissé la volée des volées et le gars est mort le lendemain de ses blessures. Kibuuki lève sa canne et toaste “Ghetto justice!”

Kamwokya semble en effet être un quartier plutôt rough, mais Kibuuki me dit que les choses se sont plutôt pacifiées ces dernières années et qu’à moins que je fasse vraiment le cave, je devrais pas m’attendre à aucun problème. On marche jusque chez lui, à travers un labyrinthe de ruelles étroites et de petites cours avec des black mamas corpulentes en robes colorées qui suspendent du linge sur des cordes. Sa maison a juste une pièce pas de cloisons, un gros lit dans un coin, un petit lit dans l’autre, un sofa, une chaîne stéréo et une petite cuisine. Il a des commissions à faire, mais il me dit de faire comme chez moi. Je m’éffouaire sur le petit lit et m’endors presque tu suite, je me suis levé tôt ce matin-là.
Quand je me réveille, il y a un Chinois assis sur le couch en train de lire un magazine, et chus un peu confus de sa présence. Il dit quelque chose dans un anglais maladroit, puis au milieu de la phrase, il change de langue et me demande “Tu peux parler chinois, ouin?” Il se présente comme Wang Ke, un chum de Kibuuki qui avait entendu parler de mon arrivée et était curieux de voir ce dude blanc qui vit et travaille dans son pays natal et parle sa langue maternelle.
On a encore un peu de temps à tuer, faque on va se promener dans les ruelles bouetteuses de Kamwokya, jasant de nos voyages et de nos expériences en Afrique jusqu’à présent. Il avait travaillé dans une job de bureau à Beijing, mettant de côté toute l’argent qu’il pouvait, avant de commencer un long voyage qui l’a d’abord emmené en Asie du Sud-Est.

“J’ai pas aimé la Malaisie, y a trop de Chinois. Le Myanmar était très cool, j’ai fini par rester plus longtemps que prévu. Puis chus venu en Afrique, c’est un endroit fou! J’aime bin ça. Les Noirs font un peu peur, mais y sont aussi très sympathiques et très serviables.” Je me suis bien marré en entendant son enthousiasme sincère et sa manière de parler avec aucun crisse de filtre qui font que j’aime bin ces individus de race jaune avec qui je cohabite depuis si longtemps.
Du Kenya, il est allé vers l’ouest et est rendu à Kampala depuis trois semaines à ce moment-là. Il est d’abord resté chez Kibuuki pendant quelques jours via CouchSurfing, comme moi, puis il a rencontré un businessman chinois qui runne un bar à karaoké et lui a proposé de rester là-bas gratuitement.
“Un bar karaoké? Vraiment? Comme les KTV en Chine?”
“Ouin! Je reste dans le dortoir avec les putes. On joue des fois aux cartes ensemble ou on fait des nouilles instantanées. Elles viennent toutes du Sichuan ou de Harbin et elles ont des drôles d’accents!”
J’avais lu quelque part qu’il y a effectivement des bordels chinois en Afrique pour les expatriés chinois ou les hommes d’affaires en visite, vu qu’ils ont tendance à pas être attirés par les femmes locales et, d’une manière plutôt raciste, ont peur du sida. Comme si les maladies bizarres étaient pas endémiques parmi les prostituées chinoises, et comme si toutes les nations africaines avaient des niveaux d’infection aussi haut que le Swaziland. Je le pousse pour des histoires, lui demandant si y a lui-même travaillé comme “canard” (une escorte masculine de karaoké) pour des femmes riches, mais il fait juste sourire et hausser des épaules en riant.

Un monsieur avec un petit barbecue vend des brochettes de viande au coin de la rue et on lui en achète, elles sont tellement bonnes que après juste une bouchée, j’en commande d’autres. Les morceaux de bœuf sont super tendres et assaisonnés à la manière locale, en les trempant dans du lait et en les roulant dans un mélange de chapelure et d’épices en poudre. Juteux.
Puis on revient au premier coin de rue, où Kibuuki et sa gang sont de retour, et on s’entasse dans une minivanne en direction du centre-ville. Kibuuki m’explique que quand les Ougandais s’en vont boire, un gars paie la traite aux autres, et puisque je suis le nouveau venu dans le groupe, tout l’honneur sera à moi. Je sais pas trop comment me sentir à ce sujet, chus pas un cheap ass et ça me fait généralement plaisir de payer pour une tournée ou deux, mais se faire demander de le faire est un peu insistant et culturellement pas de quoi auquel je suis habitué, et dieu sait qu’il y a des fois en Afrique où tu te sens comme un guichet automatique sur pattes, même avec des gens avec qui tu pensais être ami. J’espère juste qu’il profitera pas de tout ça pour en faire une situation awkward, mais ça s’avère être une soirée assez peu dispendieuse au final.

On va dans un bottle shop qui a quelques sièges de bar en avant, juste sur le trottoir, et j’achète un litre de whisky indien, une petite chaudière pleine de glaçons pis quelques bouteilles de soda, ainsi que quelques bières. Quelques-uns des chums de Kibuuki prennent un verre ou deux et partent, et d’autres arrivent et s’assoient avec nous, dont deux Indiens. Je leur demande d’où ils viennent en Inde et ils répondent qu’ils sont nés à Kampala, pis que ça fait plusieurs centaines d’années que leurs familles sont arrivées en Afrique. On en jase un peu, j’apprends que les Indiens en Afrique sont assez insulaires et voient les locaux avec suspicion et racisme et aussi vice-versa.
Un gars fait rôtir du poulet un peu plus loin, et l’odeur apportée par le vent me tue, y faut que je l’essaie. Enfin de la nourriture assaisonnée! Les brochettes de bœuf de l’après-midi étaient juste l’apéritif. Le gars coupe un demi-poulet en bouchées, qu’il mélange avec des oignons et du pain chapati frit qui grésille dans la graisse qui dégouline de la grille. Je sais pas si c’est à cause du contraste après des semaines de poulet bouilli insipide, mais c’est un des meilleurs plats de volaille que j’aie eu depuis très, très longtemps.

Pendant que chus là à dévorer mon repas, une autre odeur excitante atteint mes narines, et je vois deux gars en train de fumer du weed entre deux chars. Quand on fait eye contact, je souris largement et ils m’en offrent une puff. Quand le joint repasse dans ma direction, ils disent que je devrais d’abord leur donner quelques morceaux de poulet. Fair, très fair. Je leur donne le reste de mon contenant en styrofoam, et c’est agréablement pété que je retourne rejoindre ma gang. On enfile les whisky-sodas et les discussions en diverses langues, regardant la foule passer sur la rue animée. “Simple pleasures in the Ghetto Republic of Uganja”, que Kibuuki dit en levant son verre.
Génial, je vais continuer de suivre tes aventures ! J’ai eu ton site via Reddit continue man !
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