Les Cris de la Baie James

Des fois je regarde une carte du monde et je me compte assez privilégié d’avoir pu visiter autant de places, sur tous les continents habités, dans plein d’environnements de toutes sortes. Il y a une de ces places qui m’échappe encore cependant: l’Arctique. J’aimerais trop aller dans ces endroits lointains avec une nature si rough que juste une poignée d’humains y survivent, voir ce dont ça a l’air.

J’ai un chum qui habite au Nunavut et publie souvent des photos complètement folles de ses escapades en toundra, et aussi quelques chums qui ont grandi au nord du Cercle Arctique dans divers pays scandinaves, mais à moins de s’y faire poster avec son travail, en général voyager dans le Grand Nord c’est abominablement cher. Un jour, je vais checker si c’est viable d’aller virer au Groenland ou dans les Territoires et accomplir mon rêve.

Sinon, à date, le plus loin je suis allé c’est à la Baie James, dans un village cri nommé Wemindji. J’en garde des beaux souvenirs, et quelques photos en basse résolution qui dorment sur un disque dur depuis 2006, faque je vais vous partager ça là.

Quess que j’allais crisser là? À l’époque j’étais un membre des Forces Armées et mon unité y est allé en février pour faire des manoeuvres de guerre en conditions hivernales (et conditions hivernales on a eu!) Je parlerai pas trop des choses d’armée qu’on a fait, pas tant parce que c’est supposé être secret ou je sais pas quoi, après tout j’étais juste un jeune soldat blanc-bec, mais plutôt parce que c’est pas vraiment le focus de ce blogue. Je mettrai donc l’emphase sur le milieu de vie et la culture des gens qui y habitent.

Premièrement, ouin, si c’est pas déjà évident: il faisait frette en saint-simonaque-de-crisse. Plus que n’importe où où chus allé avant et depuis. Ma visite en Russie en 2012 en a été une de froid infernal, surtout parce que j’étais mal équipé, alors qu’au moins à la Baie James j’avais des vêtements hivernaux militaires, reste que le thermomètre est jamais monté en haut de -40 et dans ces conditions, le frette est pas juste une source d’inconfort, mais un danger. Un de mes chums a été mis en charge de transporter du matériel laissé dehors jusqu’à l’intérieur d’un bâtiment, il s’est fait dire de jamais enlever ses gants et toucher une surface métallique à mains nues, reste que même ganté, une barre de métal qui a touché son poignet a laissé une brûlure rouge.

Dans un tel environnement hostile, on parle pas de vivre, mais de survivre. Toute tâche devient deux fois plus chiante et éprouvante: faire à manger, prendre soin de son gun, se déplacer, et savoir comment se vêtir. Tu veux pas être trop habillé et suer, non seulement ça fait royalement chier mais tu peux en payer le prix plus tard. Si t’es Québécois et que tu lis ça, tu es déjà au courant, mais comme j’ai dit c’est une toute autre source de frette dont on parle.

Un moment donné, je suis sur le bord d’un lac (complètement gelé bin sûr, avec genre un demi-mètre de glace) à couper du bois. J’ai enlevé ma grosse parka et mes mitaines, et vêtu de juste un polar, je choppe les bûches devant moi. Quand je prends une petite pause, je prends la parka pendue à une branche et je me couvre vite fait. Soudainement, un Ski-Doo avec une remorque remplie d’outils passe, et par pure malchance, le long manche d’une pelle accroche ma parka par son capuchon. Je lâche un cri au Cri qui conduit, mais il m’entend pas et quand il arrive à la lisière du bois, il clanche ça en en dedans de deux secondes il est au milieu du lac, traînant ma parka comme un drapeau au vent.

Je regarde d’un air dépité l’autre Cri avec moi, qui part d’un rire gras et dit “Better start chopping, boy!”

J’ai les épaules en feu quand le Ski-Doo revient éventuellement, et que le gars me rend mon manteau en riant pour que je puisse finalement prendre une pause. Il échange quelques mots avec mon partner, en leur langue bizarre.

Entre eux ils parlent le cri, et c’est plutôt cool de voir qu’ils ont résisté à l’assimilation comme ça. Il y a aussi un genre d’alphabet bizarre avec des triangles et des cannes de Noël et des petits ronds, et les panneaux sont pas mal tous en cette langue. Ils parlent aussi anglais, mais pas français, en tout cas pas parmi ceux que j’ai rencontrés, peut-être c’est différent dans d’autres communautés.

“Where you from?” le voleur de parka me demande.

“Gatineau”

“Ah! Gat’neau! Club Seventy-Seven uh?” et l’autre gros costaud hoche la tête avec un sourire pervers.

Je suis un peu abasourdi qu’ils connaissent le vénérable bar de danseuses de la Rue Main, mais comme ils m’expliquent, le village a une école primaire, puis ensuite les ados vont faire leur secondaire à la polyvalente anglophone de Hull. Sur le bras du gouvernement fédéral, comme à peu près tout ce qu’ils font. Le village a juste 900 âmes, mais ils ont un aréoport, un gros centre de sports avec un aréna, une petite clinique médicale (et pour les opérations plus compliquées, ils se font envoyer à Val d’Or ou Montréal en avion) et une flotte de Ski-Doos tout flambants neufs.

Je sais très bien que la situation avec les Autochtones au Canada c’est extraordinairement compliqué et que beaucoup de réserves et de communautés éloignées vivent dans une pauvreté digne du tiers-monde et dealent avec des problèmes de société à briser le coeur, mais à regarder cette gang de Cris, je les envie quasiment. Leur vie est simple, ils sont bien nourris (à voir leur gabarit), l’endroit où ils vivent est magnifique et tranquille, et semble-t-il que leur village est un de ceux qui s’en tire bien et a du bon leadership, notamment, c’est une communauté dry, ce qui leur évite les problèmes liés à l’alcool que bin de leurs cousins subissent. Faque pas de bière pour nous autres avant d’être de retour dans “le sud”.

Anyway en tant que soldat réserviste je serais le plus gros hypocrite de chiâler contre le fait que ces gens reçoivent autant d’argent du fédéral, alors que je suis là, avec des milliers de dollars d’équipement, assez grassement payé pour ce qui feel moins comme un exercice militaire et plus comme un genre de camp de vacances, juste que tout le monde est habillé en vert et sacre beaucoup. Les Cris nous montrent comment faire un abri avec des cubes de neige (pas un iglou, ils ont un autre mot dont je me rappelle pus, et vont te corriger poliment si tu appelles ça un iglou), nous donnent de la viande qu’ils ont chassée et du pain banique, et un soir, au lieu d’être dans nos tentes, on dort dans un de leur longhouses. Le plancher est tapissé de branches de sapin, c’est merveilleusement confortable en plus de sentir si bon, j’y dors un des sommeils les plus profonds ever, avec la fatigue accummulée et le contraste entre le chaud et le froid.

Un moment donné, ils nous montrent comment ils faisaient un trou dans la glace avant d’avoir accès à des grosses perceuses industrielles. Avec l’épaisseur de la glace et le primitivisme de leurs outils (un os fixé à un bâton), ça pouvait prendre des jours. Ensuite, quand il y a quelques trous en ligne, ils tendent un filet d’un trou à l’autre, sous la glace.

“Comment vous faites ça?”

“Un des adolescents de la tribu plonge dans l’eau avec une corde autour de la taille pis il nage. On allume un feu en bordure du trou pour qu’il puisse suivre la lueur pendant qu’il est sous la couche de glace. C’est un genre de rite de passage.”

Tout le monde écarquille les yeux et on entend des gasps audibles.

“Bin non, c’est une joke, on fait glisser un bâton avec une corde, et on le repêche avec un crochet quand il passe. Ça prend quelques essais-erreurs mais on pogne le tour. Hahahahaha!”

Des farceurs, ces Cris, ma foi.

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