La fois où on est allé dans une favela brésilienne

Quand tu es sur la plage à Rio de Janeiro, à te faire dorer la couenne, boire de la bière Brahma en cannes et regarder distraitement la cellulite bronzée qui défile dans ton champ de vision, tu as une vue assez magnifique sur les dramatiques pics qui émergent de l’océan et qui font de la cidade maravilhosa un endroit en effet indéniablement magnifique.

Et pas si loin au sud, passé les tours à condos un peu huppées de Copacabana et Ipanema, il y a une grosse patch de petits bâtiments en béton gris délabrés, à flanc de montagne. C’est le bled de Rocinha, le plus gros de ces quartiers défavorisés que les Brésiliens appellent des favelas, et il surplombe la ville et les baigneurs de façon un peu menaçante, ajoutant ou enlevant à la beauté du paysage, selon à qui tu demandes.

Ma copine voulait y aller, et avait entendu parler de tours guidés qui s’y rendent, probablement par des blogues ou le magazine Lonely Planet version chinoise qu’elle lit assidûment. Perso, je trouve ce genre de visites de bidonvilles au mieux voyeur et un peu stupide et au pire aberrant et exploitatif, et j’étais contre l’idée. Après un peu d’insistance de sa part et ma volonté de faire des compromis, à la fin d’un voyage sud-américain assez éprouvant pour elle, à me suivre partout dans des endroits où elle est pas capable de communiquer, je jette un oeil au site internet et ils parlent de comment c’est une initiative de communauté et que les profits y sont réinvestis et babadi, babada. En plus c’est pas très cher, après tout ça implique juste de se faire emmener à 10 minutes en camionnette et ensuite faire une petite marche. Donc on s’inscrit.

Une petite vanne avec une famille d’Allemands ou de Danois ou whatever déjà dedans nous ramasse et quelques minutes après on commence à grimper une côte en zig-zag, qui nous emmène de l’Europe à l’Afrique encore plus vite que quand on a pris le traversier de Algeciras à Tangier deux ans auparavant. Je suis un peu abasourdi de voir qu’une bonne cinquantaine de touristes prennent part à la visite, et en demi-cercle dans le stationnement d’un garage, on écoute la présentation de Rodrigo, le guide principal.

En anglais assez impressionant, il nous parle de l’histoire de la ville, comme quoi les premiers bâtiments ont été sensiblement construits dans les vallées, sur le bord de la mer et sur les plateaux, et que quand des populations de pauvres de la campagne et d’esclaves récemment affranchis ont voulu s’y installer, ils se sont fait réléguer à ces districts non-incorporés et ont dû bâtir des shack sur des terrains vraiment pas idéaux. Avec peu ou pas d’organisation, le manque de possibilités d’établir un système de routes droites, et aussi, disons-le, des gangs de criminels véreux qui ont pris le contrôle de facto sur ces places dont le gouvernement voulait juste à moitié anyway, c’est vite devenu un fouillis total, et là 100 ans plus tard c’est un fouillis avec des dizaines de milliers de gens qui y habitent, en croissance constante.

Son speech est plutôt objectif et je salue le fait qu’il omet pas de mentionner comment bin des problèmes sont internes, sans tomber dans le mélodramatisme culpabilisant à la noix. Il parle aussi de l’aspect racial de la chose (vous pouvez imaginer quelle est la composition démographique de cet endroit vis-à-vis celle des quartiers plus huppés juste en bas de la côte), du manque d’investissement de la part de politiciens, et des mesures “d’embellissement” dans le cadre des Jeux Olympiques et de la Coupe du Monde qui consistaient en pas beaucoup plus qu’une couche de peinture sur les buildings à flanc d’autoroute, quand ils faisaient pas juste ériger un gros mur.

On monte la côte, à la queue-leu-leu vu que la route est assez étroite et bondée d’autobus et de motos. Quand la rue fait un virage à 175 degrés pour continuer à monter la pente a pic, il y a un espace entre les buildings et on profite d’une vue assez folle sur Rio, ses collines et la mer d’un côté, et le reste de Rocinha de l’autre.

Et c’est là où le bât blesse: je veux pas fucking romanticiser la pauvreté comme un hippie hypocrite, mais je peux pas nier non plus que cet endroit a un charme, comme pas mal de quartiers de ce genre où j’ai mis les pieds dans divers coins du tiers-monde sur tous les continents. Les petits bâtiments asymétriques sont bin plus intéressants à regarder que, disons, des gratte-ciels ordinaires en verre tout alignés ou une banlieue de McMansions qui ont toutes été bâties par le même contracteur. En plus, il y a beaucoup d’énergie et de vie, comme on voit avec le linge qui pend sur des cordes à linge ou aux fenêtres, les nombreuses murales ou cubes de béton peints de toutes sortes de couleur, et la musique qui provient d’un peu partout.

Ça c’est pour le positif. Sinon, il y a beaucoup de laideur, ça c’est indéniable aussi. Il y a des piles de vidanges assez alarmantes autour de conteneurs qui se font pas vider assez souvent, et tu vois constamment des gens qui lancent leurs emballages à terre. Le système de fils électriques tout rafistolé à l’arrache passerait pas une inspection, et certains buildings sont faits de plusieurs cubes de béton empilés un par dessus l’autre comme des Legos pas de la même grosseur, question de rajouter des étages d’une manière qui a pas l’air safe du tout. Des fois, on passe devant un petit bloc qui est en meilleur état que les autres, et il y a un ou plusieurs gardes de sécurité armés de gros guns devant ou dans le lobby. Presque chaque maison ou commerce a des épaisses barres aux fenêtres et des barbelés-rasoir ou des tessons de bouteilles encastrés dans le ciment des murs.

La foule de cinquante gringos que nous sommes sort du lot en tabarnak, mais personne fait vraiment attention à nous. Rodrigo dit à plusieurs reprises qu’on devrait pas aller là sans guide, et je me demande à quel point il exagère. Comme j’ai dit, j’ai passé pas mal de temps dans des pays pauvres, et il y a moyen avec une combinaison d’un peu de chance et de street smarts de s’en tirer sans problèmes. Je fais nuance ici, je dis pas que certains de ces endroits sont pas des abjects shitholes d’où tout le monde qui arrive à empiler quelques piasses décalisse et ne revient jamais, je dis juste que la majorité du monde qui vivent là sont des gens normaux qui font juste vivre leur vie. On est sur une rue paquetée de traffic et de piétons, il est 11 heures du matin, et c’est pas comme si tout le monde était un criminel scumbag endurci sadique, en fait tu disais pas à quel point les stéréotypes négatifs sur les favelados sont fallacieux et racistes et qu’en fait ce sont des gens au coeur d’or et avec un fort esprit de communauté, mon Rodrigo?!

À Rio, il y a en effet des favelas qui sont des totales no-go zones même pour les Brésiliens de classe moyenne et la police, où des gangsters ont pris le contrôle et les ont transformées plus ou moins en enclaves indépendantes, et à cause du relief de la ville, certaines sont à juste un coin de rue d’une place riche. Mais c’est pas le cas pour Rocinha: il y a des lignes de bus qui y passent, des bars qui attirent les touristes qui aiment le funk brésilien et ses TOUTA, TA, TOUTOUTA, une auberge de jeunesse, et j’ai quelques chums américains qui ont habité dans le quartier brièvement vu que c’est moins cher. Chus sûr qu’il faut faire attention la nuit mais il faut faire attention la nuit partout au fucking Brésil.

On croise un autre groupe de touristes, et Rodrigo échange des paroles amicales avec leurs guides. Il semble pas y avoir de compétition féroce entre les quelques agences, ou peut-être juste qu’il y a assez de gringos qui sont prêts à les payer pour l’expérience de quelques heures dans un hood sinistre avant de retourner à leur vie banlieusarde. En fait si j’étais un conspirationniste, je dirais que ces guides nourrissent la réputation de criminalité et de danger des favelas en beurrant épais, question que les gens viennent les visiter avec des groupes organisés plutôt que par eux-mêmes. Si il commençait à y avoir des couples de gringos qui viennent au mirador non-accompagnés pour admirer la vue, Rodrigo pis sa gang paieraient une gang de petits voyous pour rendre ça intenable, à moins d’y aller avec un guide, clin d’oeil clin d’oeil, classique racket de protection.

On continue de naviguer dans des ruelles étroites zigzagant entre les taudis, un moment donné j’arrête à un petit dépanneur acheter un breuvage et Rodrigo m’entend parler en portugais avec le tenancier. Dès lors, il me parle dans sa langue maternelle, et je trouve soudainement le tout pas mal plus stimulant. Je me sens un peu mal pour les autres touristes qui en sont incapables et qui sont privés de ses observations et explications, mais hey.

Après une promenade somme toute assez intéressante, on arrête dans un petit bar de quartier, où ils font supposément le meilleur caipirinha en ville. Bold claim en crisse, du caipirinha c’est composé juste de cachaça cheapette, de sucre et de jus de citron, et toutes les fois j’en ai bu ça goûtait exactement pareil. Rodrigo sort des menus d’une page plastifiée, en anglais, avec une liste limitée de cocktails et de bières en bouteilles et de snacks. Le caipirinha y est listé à 15 reals, hmmm, bizarre ça, même dans les bars de Copacabana c’est rarement plus que 12, et tu peux même en avoir un pour 8 ou 10 si tu l’achètes d’un kiosque. Honnêtement, j’y pense pas plus, mais un jeune Américain du groupe trouve un menu en portugais qui dit clairement que le caipirinha coûte 10. Il confronte Rodrigo immédiatement, qui balbutie de la marde, comme quoi c’est pas la même chose, ceux que nous on a ils sont plus gros.

“Bullshit. T’as pas arrêté de nous dire que les gens des favelas sont honnêtes et travailleurs et méritent pas leur mauvaise réputation, et là tu nous arnaques de même?”

J’aurais pas mieux dit.

Au moins le barman accepte sans problèmes qu’on lui paye le vrai prix, au diable sa petite cut. Le menu en anglais sorti de nulle part aurait dû m’alerter, dieu fucking sait que j’ai souvent eu à dealer avec cette marde de rat en Thaïlande (et oh que c’était priceless de voir l’expression de la face de ces sous-merdes changer quand ils s’apercevaient que j’avais appris assez de thaï pour lire le vrai menu) mais ma garde était baissée. Ça crée un froid assez palpable et les adieux sont d’une akwardeté alors que Rodrigo et ses chums nous raccompagnent en bas de la côte et nos camionnettes.

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