Endroits bizarres 2 – La Belgique

C’est sûr que d’emblée, dire que la Belgique est un endroit bizarre va en surprendre quelques-uns. C’est d’un pays d’Europe occidentale dont on parle après tout, développé, plein de vieux buildings pas trop différents de ceux qu’on voit dans les pays voisins et qui charment tant les Nord-Américains, et en plus on y parle français. Pas l’endroit le plus dépaysant et exotique, donc. Reste que je trouve que c’est un pays qui fait aucun sens.

Déjà, au départ, c’est pas un pays, c’en est deux, qui s’aiment pas du tout mais qui restent ensemble pour une raison quelconque. Surtout parce que leurs politiciens sont pas capables d’arriver à aucun compromis sur quoi que ce soit, incluant sur la façon qu’ils sépareraient le pays en deux.

(Il y a aussi une troisième Belgique, quelques cantons qui parlent allemand, mais ils sont minuscules comparés à la Flandre et Wallonie et chus pas allé alors j’les compte pas)

Historiquement, y a toujours eu le concept de la Belgique et de la tribu des Belgae qui faisaient tant chier Jules César, mais le pays tel qu’on le connaît date de même pas 200 ans, et a été établi comme zone tampon entre la France, les Pays-Bas et l’Allemagne pas encore unie mais sur le point de l’être. La séparation est pas juste linguistique, religieuse et culturelle, mais aussi économique: la Wallonie était industrialisée et la Flandre était surtout agricole, et là, de nos jours, le pendule a swigné et les industries lourdes on sacré le camp, ruinant les francophones, alors que les Flamands ont investi dans les hautes technologies et sont rendus riches.

Écrivez-moi pas tous en même temps pour me dire que je simplifie beaucoup trop. No shit. Je veux juste peindre une image assez générale, bien sûr.

J’avais déjà visité Bruxelles lors de mon premier Eurotrip en 2007 et viré des calvinces de brosses à l’absinthe et la bière forte avec une gang de joyeux lurons du coin et d’ailleurs, et la ville avait pas fait une si grosse impression sur mon psyché de jeune voyageur en herbe. C’est surtout lors de mon deuxième séjour, en 2010, que j’ai pu apprécier à quel point ce pays est farfelu.

J’atterris à Charleroi, un après-midi glauque et pluvieux d’août, et prends le bus vers le centre-ville. Charleroi est un de ces aréoports utilisés par RyanAir et autres compagnies low-cost, et sur leur site ils l’appellent “Charleroi-Bruxelles” même si on est à au moins deux heures de route de la capitale. Faut faire attention quand on utilise ces compagnies aériennes! Des fois, tu penses sauver de l’argent mais tu te ramasses dans le milieu du nulle part.

La grande majorité des passagers sautent dans la navette RyanAir vers Bruxelles, moi j’ai le goût de rester un peu et voir si Charleroi mérite sa réputation de ville la plus laitte et crasseuse de toute l’Europe. C’est du sérieux.

La pluie aidant pas, c’est en effet pas un village de boule de cristal comme Bruges ou Ghent ou les autres destinations prisées du nord du pays qui défile par la fenêtre du bus. On dirait Trois-Rivières. Charleroi était autrefois un important centre de production de charbon, et depuis, les mines et raffineries ont fermé et il reste juste des gros squelettes de machinerie rouillée, des buildings en briques tachés de suie, et des BS.

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Mes chums belges m’ont unanimement dit de pas y aller, et quand ils se sont rendus compte que tous ces avertissements font juste augmenter mon désir de voir par-même pourquoi la ville a une si mauvaise réputation, ils ont mis de l’eau dans leur Duvel et m’ont dit d’au moins faire attention. Le centre-ville inspire peu confiance en effet, sale, délabré, avec une odeur écoeurante de cendre de cigarette trempe, et beaucoup d’itinérants. Charleroi a beaucoup de gens issus de l’immigration, surtout des Congolais et Maghrébins, et ils sont bien habillés et semblent en bonne santé, alors que la plupart des Blancs ont l’air de venir de faire de la méthamphétamine trois jours de suite.

J’ai quelques heures à tuer, alors je vais dans un café internet (ouin, c’était dans le temps ou les cafés internet existaient encore). La place est située dans un centre pour la jeunesse, et la fille au comptoir semble surprise de voir un touriste. Les gens qui visitent l’Europe skippent tous Charleroi, et elle essaie depuis longtemps de les attirer. Elle me montre le site internet qu’elle a mis en place et me demande de l’aider à corriger les fautes de sa version anglaise, ce que je suis content de faire. Il y a une chambre de dortoir dans le centre pour la jeunesse, et le site dit que les backpackeurs peuvent y rester gratuitement, mais peu prennent l’offre, malgré le côté gratte-cennes de beaucoup de jeunes eurotrippeurs. Le tourisme de ruines post-industrielles a jamais vraiment décollé, et ce qui aide pas vraiment est que l’attraction la plus populaire de la ville est un tour guidé de la maison de Marc Dutroux, cet immonde dégueulasse pédo qui a kidnappé, violé, torturé et tué des petites filles dans les années 90, peut-être que certains d’entre vous s’en souviennent, moi en tout cas je me rappelle qu’il était aux nouvelles quand j’étais petit. L’opérateur de ce tour a dû arrêter cependant, à cause de ses propres démêlés avec la justice, ce qui aide beaucoup la réputation charleroise!

Il pleut encore de façon intermittente et légère (comme mon coloc africain appelait ça, Snoop Dogg’s favorite weather, 10 points si vous comprenez pourquoi) alors je mets mon capuchon et je me mets en route vers l’endroit où mon hôtesse de CouchSurfing m’a dit de la rencontrer, un édifice à bureaux sur une rue jonchée de débris de construction. Il est juste en face d’un parc avec une statue de Lucky Luke toute délavée et craquée, et aussi un Marsupilami. Comme tous les francophones qui savent lire et ont eu une enfance, je suis un énorme fan de toutes ces BD belges, et c’est lors des meilleurs jours de cette ville que Franquin, Morris et tous ces héros ont produit leurs oeuvres.

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Pénélope m’invite à souper (avec des motifs ultérieurs, la coquine) et ensuite on va dans un charmant pub tout en boiseries, où le barman me demande ce que je veux boire.

“Je sais pas moé… de la bière?”

“Nous en avons près de huit cent septante. Désirez-vous une blanche, blonde, ambrée, brune ou noire?”

“Hmmm disons une ambrée.”

“Légère, moyenne, forte?”

“Commençons par une moyenne.”

Il m’emmène une cervoise de couleur appétissante, transvasée expertement dans son propre verre tulipe, avec un filet de mousse parfait. Je check l’étiquette, 8.5%. Et c’est une moyenne?! Leurs bières fortes sont entre 10-14% en teneur d’alcool, faut les boire lentement, et caler des verres d’eau entre chaque.

On discute des différences et différends entre Belges francophones et néerlandais, de comment ils ont presque rien en commun et comment ça affecte le débat politique au pays, avec les partis nationalistes des deux côtés qui s’astinent et accomplissent rien. Je demande qui fait la meilleure bière, et je m’attends que Pénélope et le barman répondent “Les Wallons, bien sûr” mais ils disent que c’est plus ou moins égal, et que les maudits Hollandais fendants ont beau pas avoir de sens de l’humour, leurs bières sont aussi bonnes que celles du côté francophone. Des discussions avec les Flamands vont mener à la même réponse. Au moins un point sur lequel ils sont d’accord.

Durant la période où je visite le pays, leur compagnie ferrovière a une offre comme quoi tous les trains pour aller n’importe où au pays coûtent 7 euros, et j’en prends avantage. Après un transfert, j’arrive à un minuscule village pas loin de la frontière hollandaise, où mon chum Jan m’attend. Il y a pas de gare ou même de plateforme, juste une pancarte, et je suis le seul à débarquer. Il y a absolument rien aux environs à part des champs, plats à perte de vue, et Jan qui m’envoie la main depuis son char stationné plus loin.

Alors que les routes du sud de la Belgique (la partie francophone) étaient toutes décrissées, cette fois on a l’impression d’être sur un tapis roulant. Peu après on arrive à la maison des parents de Jan, où il reste pour quelques jours et donc moi aussi. Bin, quand je dis maison, je devrais plutôt dire un palais, je pense pas que j’aie jamais été dans une demeure aussi énorme. Juste leur cuisine est grosse comme la moitié d’un court de basketball.

J’avais rencontré Jan quand j’habitais en Thailande, et il était un de mes premiers Couchsurfers. Un grand gaillard, très poli et un peu gêné, qui était en voyage pour célébrer la fin de ses études de médecine, pour faire la même job que ses deux parents. Il avait clairement pas besoin de rester chez des gens gratuitement donc, mais le principe du Couchsurfing est pas juste l’hébergement sans payer, mais bien d’avoir des échanges culturels, de se faire des chums, dans un esprit de générosité et de réciprocité. À de nombreuses reprises j’ai visité les gens que j’avais autrefois hébergé et vice versa, et on note en riant l’aspect un peu ironique que je l’avais reçu dans mon minuscule studio un peu miteux en Thailande et qu’il me rend la pareille dans un gigantesque manoir.

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Alors pour en revenir à la thèse principale que je soutiens ici, comme quoi la Belgique est un pays bizarre composé de deux parties qui se ressemblent pas du tout, c’est sûr que juste comparer sa ville la plus laitte et pauvre avec la campagne de sa partie la plus riche, où je reste avec une famille de médecins qui me paient la traite est pas une façon statistiquement honnête d’arriver à cette conclusion. Mais y a pas que ça. Jan me prête son bicycle une journée qu’il est occupé, et la campagne pittoresque parfaitement trimée de son coin de pays, avec ses grosses maisons et ses chars neufs partout, a peu à voir avec la campagne que je verrai plus tard lors d’un autre voyage en vélo dans le coin opposé du pays, dans le coin de Chimay, où les villages sont pratiquement en ruine à cause d’une économie moribonde, avec que quelques vieillards à l’oeil triste.

Et culturellement, Jan parle français plutôt bien, mais est rouillé vu qu’il l’utilise presque jamais et aime pas parler cette langue. Quand il se déplace à Bruxelles ou en Wallonie et parle français, il se fait regarder avec des faces de dédain, même si les Belges francophones sont plus souvent qu’autrement unilingues, avec zéro néerlandais et un anglais inexistant ou à chier. Pour leur part, les Flamands sont des polyglottes nord-européens typiques, avec un anglais pratiquement parfait, une connaissance du français qu’ils apprennent à l’école, et plus souvent qu’autrement l’allemand et une autre langue. No wonder qu’ils trouvent les Wallons arrogants et paresseux.

Ma curiosité est vraiment piquée, et on peut vraiment voir les parallèles entre la Belgique et la situation par chez nous, entre les Québécois et les têtes carrées, mais avec d’autres nuances qui rendent les deux situations très différentes aussi.

Après quelques courtes escales dans d’autres coins un peu en dehors de la track tels que Antwerp et Sint-Niklaas, j’arrive à Koksijde, où je sais que je vais découvrir une autre perspective. Quelques mois auparavant, au festival de musique bruyante et crasseuse qu’est le Obscene Extreme, j’avais fait connaissance de Johnny et Isa et quand je leur ai dit que je passerais en Belgique ils m’ont dit d’aller faire un tour dans leur coin.

Bien que Johnny a un nom de famille hollandais, il a grandi à Bruxelles en français, et Isa est française d’origine. Je suis donc curieux de savoir c’est comment être francophone dans une ville à majorité flamande. Ils disent que quelques mots de flamand vont loin, mais que pas mal de gens du coin sont très vocaux au sujet de leur dédain de tout ce qui est français ou wallon, ce qui est exacerbé un peu par la proximité de la frontière française et tous les brouteux de camemberts qui viennent magasiner de leur côté, et qui bien sûr ont la tendance de répéter en français mais plus fort quand les gens comprennent pas ce qu’ils disent.

Mais ce qui est encore plus intéressant est la mentalité nationaliste belge dont j’apprends l’existence, un peu inconfortablement. Je savais que Johnny épousait des vues quelque peu d’extrême-droite, à l’issue d’une discussion animée et arrosée au sujet des Albanais et autres musulmans d’Europe qu’on avait eu entre deux bands de punk au Obscene Extreme, mais en entrant chez lui je vois que c’est encore un peu plus poussé que je pensais. Genre, drapeau-nazi-sur-le-mur poussé. Ils m’hébergent généreusement et me font des moules-frites question de me donner vraiment “l’expérience belge” alors c’est pas comme si je vais décalisser en courant, reste que je suis un peu curieux de ce qui l’a poussé autrefois à s’associer avec de charmants individus aux blousons en cuir peinturés de vieilles runes celtiques, crânes rasés et rhétorique peu savoureuse. Il dit que c’est plutôt derrière lui, et que quelques-uns de ses chums sont des non-Blancs, reste qu’il est virulemment opposé à l’immigration de masse dans son petit pays, surtout l’immigration de certaines populations qui ont pas un très bon track record au niveau de leur intégration et côtoiement harmonieux avec les indigènes, et a autrefois participé à des démonstrations qui ont viré à la violence. Ce genre de choses qui était déjà très pertinent en 2010, et qui l’est encore plus dix ans plus tard, au moment où j’écris ces lignes.

Ce qui en ressort est que malgré les grosses différences qui semblent inconciliables entre Wallons et Flamands, il reste quand même un certain courant uni, un nationalisme belge au-delà de la bière et de leur équipe de soccer. D’un côté c’est bien de voir que les gens des deux bords sont capable de s’unir sous le drapeau noir-jaune-rouge en voyant ce qu’ils ont en commun et leur histoire qu’ils partagent, mais c’est un peu dommage que souvent leurs idées de défense de leur culture commune vire en la haine d’autrui. Si leur opinion qu’ils sont sous attaque est légitime ou pas, je me prononcerai pas là-dessus dans le cadre de ce blogue.

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