Le Coronavirus pis moé, Part 3

Nous sommes le 13 avril 2022, et un groupe de vieilles madames vient de cogner à la porte de mon appartement pour m’informer des nouvelles règles en place depuis minuit: seulement une personne du foyer peut sortir par jour, pour un maximum de trois heures. Aussi, un message du directeur de l’école secondaire où je travaille vient d’arriver, comme quoi le retour en classe prévu pour demain est évidemment repoussé indéfiniment. On pouvait s’y attendre, avec les rumeurs de lockdown qui venaient de tous bords tous côtés, et le lockdown partiel dans lequel on baigne depuis la fin des vacances d’hiver. En fait je me compte chanceux d’une manière, autant que j’aurais pu me mettre dans le trouble durant mon road trip, si je passais dans une région où des cas étaient pour éclore, tout s’est déroulé sans embûches et c’est juste à mon retour à la maison que tout a fermé.

Donc ça fait maintenant huit semaines qu’on est dans cette situation, et la vis commence à se serrer. J’ai dû faire au moins vingt de ces damnés tests d’acides nucléiques, et au moment où j’écris ça, il y a des hauts-parleurs dehors qui urgent avec une voix robotique les gens de mon bloc appartement à se faire tester si c’est pas déjà fait. Vraiment, celui qui a inventé ce genre de bullhorns où tu peux enregistrer un message et le faire jouer en boucle a lâché un fléau sur la société chinoise, ces mardes sont vraiment partout, à produire de la pollution sonore qui rendent mes écouteurs et mon lecteur mp3 bourré de musique violente absolument obligatoire à chaque sortie. Comme le dit l’ingénieur dans Empire of Dust, “哎呀,这是真难搞”

Sérieux, fuck ces choses
“It’s all so tiresome…”

C’est sûr que ça pourrait être pire. Travailler de la maison en joggings avec le chien sur les genoux a son charme, et bien que je m’ennuie du gym, tous les magasins ou presque sont ouverts et les restos offrent du take-out. Ma copine et moi profitons donc de nos temps libres et trouvons un certain humour à tout ce cirque. On a aussi dû faire des tests de dépistage assez fréquents, mais à part les deux premiers (qui impliquaient de se lever avant 6h pour faire la file toute la matinée, quelque chose au sujet duquel les Pouvoirs-en-Charge ont bien dû allumer que non seulement ça fait extrêmement chier, mais risque de répandre bin plus que de contenir le foutu virus) c’était une affaire de 5-10 minutes et une excuse pour sortir profiter du soleil printanier.

J’avais pas écrit de suite à mes deux populaires billets Le Coronavirus pis moé et Le Coronavirus pis moé Part 2, parce que franchement le virus était plus ou moins une arrière-pensée durant les deux années qui viennent de s’écouler. En avril 2020 pas mal tout a rouvert, et j’allais dans des mosh pits de concerts de metal ou dans des restaurants bondés ou aux glissades d’eau pendant que le reste du monde plongeait dans l’incertitude.

Donc la vie recommençait, à part quelques petits restants de mesures anti-pandémie. J’ai obtenu mon permis de conduire chinois, j’ai recommencé à voyager, domestiquement seulement, vu que sortir et rentrer au pays était risqué. J’ai des chums qui l’ont fait, ça coûtait bin plus cher que d’habitude et impliquait 14 ou 21 jours dans un hôtel de quarantaine à ses frais au retour, sans compter la possibilité d’être pogné en dehors.

En tant que voyageur hobbyiste et quelqu’un qui aime retourner au Québec de temps à autre pour visiter la famille et les amis, c’est sûr que c’est pas idéal, mais en même temps je regardais le reste du monde aller, avec sa succession de lockdowns mous et ses mesures symboliques contradictoires qui font peu de sens (Maximum de six convives pour ton party de Noël? Comme si six personnes peuvent pas se transmettre de germes, mais huit oui?)

Je me disais que j’étais somme toute plutôt bien ici, alors que les nouvelles du Québec ou d’ailleurs étaient plutôt glauques et que ça semblait jamais être sur le point de finir. Éventuellement le débat de société en est devenu un vis-à-vis la vaccination obligatoire, alors que bizarrement en Chine il a toujours été optionnel pour la majorité de la population. Messemble que si il y a bien un pays qui aurait aucun problème à forcer tout le monde à se faire vacciner, c’est bien la République Populaire de Chine.

Dernière fois j’ai checké, je pense qu’environ 85% des gens sont vaccinés. Je me suis fait offrir le vaccin Sinopharm en mars 2021 et je l’ai pris, en me disant que même si j’ai aucunement peur de ce virus si bénin, peut-être ça me faciliterait la vie dans un avenir proche. Et comme c’est là, je me suis jamais fait demander de preuve, je traînais mon papier avec moi quand je voyageais mais on me l’a jamais demandé.

La façon dont la Chine a opéré durant la deuxième moitié de 2020 et tout 2021, imaginons un paquet de cercles concentriques, le plus gros étant le pays, après ça la province, région, municipalité, district, etc. Après qu’ils aient achevé le “Zéro-Covid” dans un petit cercle, ils l’ouvrent, et ensuite ouvrent le cercle subséquent. Le cercle final, la frontère du pays, reste fermé hermétiquement vu qu’ils peuvent pas contrôler ce que les morons dehors font. Des fois, une éclosion de cas survenait dans une ville, notamment Nanjing et Xi’An l’an passé, la ville (ou le district urbain si ils savent où sont les cas) est alors passée au peigne fin, mais le reste du pays continue pas mal normalement. Des fois tu commences à te faire demander de montrer le “tracking app” sur ton téléphone si tu vas à un endroit bondé ou si tu arrives de voyage, pour confirmer que tu es pas allé à ces villes infectées. À part ça j’avais un masque tout chiffonné dans la poche de pas mal tous mes sacs ou manteaux, et de temps en temps je me faisais demander de le mettre, pour l’enlever trente secondes plus tard.

(Et là, vu que c’est rendu impossible de parler de la Chine de nos jours sans qu’une armée de morons s’ouvrent la yeule et disent des sacrament de niaiseries politiquement chargées:

1- Si tu trouves qu’un tracking app volontairement installé est une “invasion de ma vie privée”, mais que tu es sur Facebook 14 heures par jour, j’ai des p’tites nouvelles pour toé. Le tracking app est un élément clé pour étouffer les gros outbreaks, en sachant qui est allé où. Pis j’en ai rien à branler que Xi Jinping et sa gang sachent mes allées et venues, c’est pas comme si ils le savaient pas anyway, que j’aie ce tracking app ou non sur mon téléphone.

2- Si tu ricanes d’un air hautain en voyant la mention Zéro-Covid, et que tu dis que la Chine fudge ses chiffres depuis le tout début, bin tu es un calisse de demeuré. Soit tu es tellement habitué à vivre sous un gouvernement d’incompétents que tu es incapable d’imaginer qu’il puisse en être autrement, ou alors tu as tellement bouffé de propagande anti-chinoise que ça te sort par les narines. What’s next, tu vas me dire que la poussée vers l’énergie éolienne en Chine c’est juste de la poudre aux yeux, et que les milliers d’éoliennes que j’ai vues de mes yeux c’est un décor de cinéma? Décalisse.

3- Si tu vois une quelconque pertinence à porter un masque quand t’es pas malade, bin peut-être qu’il y a de la vérité dans ces théories de la conspiration comme quoi le but de toute cette campagne anti-Covid est surtout la démoralisation de la population, avant que les élites ne passent à la prochaine étape de leur plan.)

Donc tout ça pour dire que à part quelques petites modalités, je suis plutôt en accord et même en quasi-admiration devant la façon que le gouvernement central a mis et gardé ça sous contrôle en 2021 et 2022. N’oublions pas qu’au tout début, on avait aucune idée de comment dangereux ce foutu virus est, et si ça pourrait être la fin de l’humanité telle qu’on la connaît.

Mais là?!?!

Chus un peu tanné.

Et je regarde ça aller, je suis pas très optimiste.

Ça fait fucking plus de deux ans que ça dure, et il me semble que c’est clair que le virus est 1) au fond loin d’être si dangereux et 2) impossible à contenir complètement, même avec toute la bonne volonté du monde. Le problème est que le gouvernement agit comme si c’était exactement l’inverse, surtout pour ce qui est de la variante omicron, et dans un superbe example de sunk cost fallacy (mélangé à l’incapacité et/ou le manque de volonté d’admettre que peut-être que finalement notre approche était pas la bonne, trait culturel typiquement confucianiste et asiatique), ils continuent de pousser avec des mesures qui ont peu ou pas de chances d’arriver à leur but, vu que leur but est plus ou moins inatteignable, comme essayer d’écoper une chaloupe trouée avec une cuillère à soupe.

Un autre centre de dépistage. Au moins y en a des dizaines, et donc ça prend peu de temps.

J’ai lu quelque part qu’en fait en arrivant au Zéro-Covid, ou presque (franchement, quelques centaines de cas éparpillés sur une population de 1.4 milliard c’est pratiquement zéro) ils se sont paradoxalement tiré dans le pied, vu que si ils ouvrent la frontière aux touristes et aux Chinois pour aller voyager pis revenir, bin dans l’temps de le dire tout le monde va pogner omicron d’une shot. Ça va arriver encore plus vite qu’au Québec. Et bien qu’omicron est ultra-bénin, reste qu’un petit pourcentage va devoir recevoir des soins médicaux, et ça va clogger le système.

Pas une décision facile à prendre donc. Mais quelle est l’alternative? Continuer à pousser de plus en plus fort, vainement, jusqu’à temps que tout craque?

Une chose qui me désolait profondément à suivre le débat de société au sujet des mesures anti-covid dans l’Occident est comment dogmatiques pas mal de gens étaient, et comment ils voulaient laisser aucune tribune à ceux qui posaient la question “Ça se pourrait-tu que les mesures en place causent plus de problèmes que le virus lui-même?”, une question assez fucking légitime, il me semble, qu’on soit d’accord ou non. Et en Chine, bien sûr que ce débat est pas fait publiquement d’habitude, mais là, à regarder ce qui se passe à Shanghai et de plus en plus ailleurs au pays aussi, c’est la question que les gens se posent. Gens qui peuvent pas aller travailler. Petits commerces qui font banqueroute. Problèmes de santé mentale dûs au stress et au manque de socialisation. Gens qui se font séparer de leur famille pour se faire foutre dans des genres de camps de concentration. Monopolisation des services de santé, ce qui fait que des gens qui ont besoin d’ambulances ou de lits d’hôpitaux en ont pas, en plus d’avoir à passer au travers d’un système bureucratique inflexible qui retarde leur accès aux soins, comme cette dame âgée qui a pas pu aller à l’urgence à cause qu’elle avait pas son foutu test de covid. Abus de pouvoir, parfois assez violents. Et là, il y a même des gens qui manquent de nourriture chez eux, qui ont pas le droit d’aller en chercher, et qui ont pas reçu les denrées que le gouvernement est supposé leur livrer. Ils forcent une sortie (bravant les coups de matraque et les conséquences néfastes plus tard) ou sortent par leur fenêtre, parfois plongeant à leur mort.

Tout ça pour quoi? Parce que Mononc’ Jinping a promis de nous libérer de ce virus que 99.9999999428% des gens survivent après une ou deux journées au lit à boire du bouillon de poulet? Et qu’il refuse de baisser les bras, parce qu’il a peur de peeeeerdre la faaaaaace et de donner des munitions à ses compétiteurs au sein du Parti, avec les élections qui s’en viennent?

Dans le tsunami de pure marde que je dois naviguer des fois sur Reddit ou Facebook quand les gens revomissent leur dose quotidienne de propagande anti-chinoise, je vois des fois des candidats du Mensa qui déblatèrent que la seule raison que le peuple chinois se rebelle pas contre leur gouvernement autoritaire est que leur niveau de vie est confortable. Wow, no shit, génie. C’est comme dire “Tu aimes ton boss juste à cause qu’il t’a donné une grosse augmentation, est toujours amical, te fait pas chier avec du micro-managing et te laisse partir plus tôt le vendredi après-midi pour aller à la pêche” Bin sûr calisse que sortir des centaines de millions de gens de la pauvreté abjecte et transformer un pays qui était un punching bag pendant le Siècle d’Humiliation en mégapuissance politique et économique va mettre la majorité de la population de ton bord. Tous les gouvernements, du plus molasson au plus tyrannique, est au courant de ça, que même avec la plus grosse poigne de fer au monde, il faut quand même un fond de positif (véritable ou juste perçu comme tel) si tu veux pas que tes citoyens virent tout à l’envers. Et c’est pas tout le contrôle sur l’internet, les médias ou les mouvements de la populace qui peut changer ça, y a toujours des éléments qui déjouent les barrières.

Mon dépanneur du coin en proie au panic-buying. On est bien approvisionnés pour l’instant, et à ce moment-là, un camion était devant, dompant des sacs de riz et de farine. La viande et les légumes se font rares, cependant.

Pas mal plus que d’habitude donc, on voit et entend parler de gens qui ont pété leur fusible et refusent ces mesures. Je vois pas mal de vidéos partagés sur WeChat ou autres médias sociaux chinois avec du monde qui gueulent des choses assez peu harmonieuses et qui demandent du changement, scandant carrément de déposer le Parti Communiste et Xi Jinping. Au Québec, dire “Fuck Trudeau” est plutôt cute et attire peu d’attention à moins d’être rendu quelques milliers de camions qui klaxonnent, mais ici ça fait lever les sourcils et est peut-être un signe avant-coureur de grosse marde qui va brasser. On parle pas d’autorités centrales habituées à négocier ou à donner ne fut-ce qu’un pouce de terrain, mais si la pression continue de monter…

D’ici là je fais ce qu’on me dit, faute d’avoir vraiment le choix. Je regarde le bon côté des choses, et je me tiens occupé à lire des livres, regarder des documentaires et faire de l’exercice dans mon gym maison. En espérant que ça passe.

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